Souris grise, Saint Pierreville, Ardèche, Mai 2017 © Eric Gaillard

Présentation et description

Souris grise, Ain, octobre 2006, 0livier Iborra

Autrefois appelée rate ou ratote dans le Bugey (01). La Souris grise peut être confondue avec d’autres membres de la famille des Muridés, particulièrement les mulots (Apodemus sp.) et d’autres espèces de souris (Mus sp.), d’apparences très similaires. Mus musculus domesticus est toutefois le seul animal de cette taille vivant en fort commensalisme avec l’homme, ce qui restreint la plupart du temps les risques d’erreur.

En Europe de l’ouest et donc en France et en Rhône-Alpes, seule la sous-espèce domesticus est présente, la sous-espèce nominale occupant des contrées plus orientales et septentrionales (Aulagnier et al. 2008). L’espèce doit être considérée comme une espèce allochtone en France mais l’ancienneté de sa présence (v. Historique) doit amener à reconsidérer ce statut. Bien que considérée par l’UICN (2011) comme une des 100 espèces les plus envahissantes au monde et l’objet de nombreuses opérations de destruction, la souris grise ne présente curieusement aucun statut légal en France.

Il n’existe pas de différences entre la biologie de l’espèce en Rhône-Alpes et dans le reste de la France si ce n’est peut-être pour les populations vivant aux plus hautes altitudes atteintes. Grâce au commensalisme envers l’homme très marqué chez ce taxon, la reproduction concerne tous les mois de l’année, sans pic marqué. Les citations régionales de l’espèce marquent un creux de mars à juillet, suggérant, comme l’attestent quelques observations, un léger éloignement de la proximité humaine à cette époque. Toutefois, Orsini (in SFEPM 1984) indique que les zones alors occupées seraient celles où le campagnol des champs ( Microtus arvalis) est absent car cette espèce contrarie le développement de populations sauvages de souris en perturbant l’élevage des jeunes et que les exigences hydriques de cette souris la rendent peu adaptée à des biotopes secs, plus propices à la Souris d’Afrique du Nord (Mus spretus) dans la zone de sympatrie des deux taxons.

Par contre, c’est d’août à février- avec un pic en janvier-février-, période à laquelle les souris grises nettement thermophiles rejoignent les habitations humaines qui offrent alors une sécurité tant alimentaire que thermique que l’espèce est la plus citée. Orsini et al. (1982) ont démontré que l’agressivité des souris grises excluait les souris d’Afrique du Nord (=souris à queue courte) de tels biotopes, déjà naturellement peu fréquentés par ces dernières.

Autrefois bien représentée dans et à proximité de nombreux bâtiments humains, la souris grise n’occupe plus qu’une fraction réduite de ceux-ci et ses populations ont probablement grandement décliné. L’estimation des populations, passées ou présentes, est évidemment impossible et nul ne s’y hasardera. Bon nombre des mentions de l’espèce ayant servi à l’élaboration de cet atlas sont souvent sans lendemain. Cela ne doit pas faire oublier que sa présence peut être parfois invasive. Ainsi, à Château-Gaillard (01) dans deux maisons à peine éloignées d’une centaine de mètres, 205 individus ont été capturés et tués dans la première (environnement de remises et habitations en partie inoccupées) en un an sur les années 2014-2015 (F. Gaillard, comm. pers.) et, dans la seconde (conditions presque identiques), 102 souris ont été observés (pour la plupart tués dans des pièges) entre le 16 août 2017 et le 07 juin 2019 (obs. personnelles). Ces derniers ont mis à mal des stocks de grains pour les oiseaux, des pommes de terre, plusieurs piles de journaux et de revues entreposées dans une armoire et détruit le moteur d’un congélateur en rongeant tous les conducteurs électriques!

Etat des connaissances

Historique

Initialement, l’aire de répartition des ancêtres de la souris grise était vraisemblablement le sous-continent indien. Toutefois, la plus ancienne découverte de l’espèce est située en Palestine où elle est apparue soit par migration soit par spéciation environ 12 000 ans avant J.C. On pourrait penser , comme pour le rat noir (Rattus rattus) d’ailleurs, que l’espèce déjà largement commensale de l’homme aurait accompagné nos ancêtres en Europe dès le Néolithique. Ce n’est curieusement pas le cas puisqu’il faut attendre le milieu du premier millénaire avant J.C. pour prouver des certitudes de sa présence sur le continent et les îles de Méditerranée occidentale. Ce ‘retard’ pourrait être expliqué par «la faiblesse des échanges maritimes entre le(s) bassin(s) orienta(ux) et occidenta(ux) de la Méditerranée, du retard de l’urbanisation qui ne débute qu’à l’Âge du Fer, et (d’une éventuelle compétition avec l’autochtone) mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus)» (Pascal et al. 2006).

Dès lors, via la Corse et le bassin méditerranéen, cette souris a conquis l’ensemble du territoire continental et bon nombre d’îles où son introduction a très probablement été involontaire. Ensuite, la souris grise a de toute évidence, malgré les destructions par l’homme et la prédation-le plus souvent par les animaux domestiques ou vivant à notre voisinage-, connu un long âge d’or , profitant de ressources alimentaires quasi inépuisables et de milieux propices à sa reproduction.

Dans l’atlas des mammifères sauvages de France (SFEPM, op. cit), Orsini la considère comme «  répandue dans toute la France continentale et en Corse, les ‘trous’ (de répartition étant) très probablement dûs à des absences de prospection». Une décennie plus tard, cette bonne présence est aussi signalée en Rhône-Alpes (FRAPNA 1997), l’atlas régional la trouvant «commune dans toute la région….,moins …dans les régions montagneuses».

Depuis lors, la situation de l’espèce semble s’être dégradée.

Carte de l'état des connaissances sur la souris grise

Distribution actuelle

Cinq espèces du genre Mus sont présentes en Europe. Deux espèces occupent l’est du bassin méditerranéen: Mus macedonicus présente en Grèce et en Turquie; Mus cypriacus récemment distinguée de la précédente est endémique de Chypre. La souris des steppes (Mus spicilegus) habite les zones cultivées et les steppes d’Europe centrale et orientale, depuis l’Autriche jusqu’en Ukraine. A l’opposé, la souris d’Afrique du Nord (Mus spretus) occupe le Maghreb, la péninsule Ibérique, le bassin occidental de la Méditerranée (Aulagnier et al., op. cit.) , remontant la vallée du Rhône jusqu’à la latitude de Loriol (26). En France, son aire de répartition est assez comparable à celle du Chêne vert (Quercus ilex). (Emberger 1943, Orsini et al., op. cit.). Ces quatre espèces ont des écologies quelque peu différentes mais aucune n’est la commensale de l’homme, au contraire de la souris grise (Mus musculus).

Nous avons vu précédemment comment Mus musculus domesticus a pris pied en Europe (v. Historique). La race nominale musculus est, quant à elle, arrivée sur notre continent par les plaines russes et le nord de l’arc balkanique et ne s’est jamais implantée dans l’ouest du continent. A elles deux, ces sous-espèces peuplent tout celui-ci et grâce aux introductions humaines, le plus souvent involontaires, l’ensemble des autres continents.

Jusqu’au milieu du 20ème siècle au moins, les ressources alimentaires et les zones propices à la reproduction de domesticus, la plus commensale de l’homme et la seule présente en France, ont du être pléthoriques. Progressivement, le développement d’habitats urbains neufs ou restaurés au détriment de zones rurales progressivement dépeuplées et les nouvelles conditions de stockage des productions agricoles et de l’alimentation humaine ont réduit de beaucoup l’eldorado initial. Avec vingt ans de différence, la comparaison entre l’atlas régional précédent (FRAPNA, op. cit.) qui ne jugeait pas nécessaire de publier une carte pour cette espèce alors omniprésente et l’enquête présente témoigne de cette régression de la souris grise.

L’espèce présente encore une répartition homogène dans une grande partie des départements de la Loire et du Rhône, le sud-ouest de celui de l’Ain, le nord de l’Isère et de la Drôme, le centre de l’Ardèche. Partout ailleurs, les ‘trous’ dans la carte sont trop nombreux pour suggérer de simples manques de prospection mais indiquent bien plutôt une fragmentation de la répartition, même dans des zones rurales apparemment encore favorables à l’espèce.

Lors de la présente enquête, la très grande majorité des mentions régionales de l’espèce ont été effectuées à moins de 600 m. d’altitude (minimale de 67 m. au Teil (07), ce qui est assez conforme à ce que l’on sait de la biologie de l’espèce. Leur nombre décline ensuite rapidement pour ne plus laisser que de rares données au dessus de 1200 m, devenant exceptionnelles au-dessus de 1500 m. avec 1660 m. le 21/11/2014 au Périer (38), 1750 m. le 20/06/2004 au Reposoir (74), 1859 m. le 21/09/2013 et 2315 m. le 10/10/2015 à Bessans, (73) et même 2456 m. le 31 /12/2010 à Sainte-Hélène-sur-Isère (73). Le précédent atlas régional (FRAPNA, op.cit.) indiquait des altitudes atteintes ponctuellement: de 1600 m. dans le district d’Arve-Giffre (74) et 1700 m. à Bessans (73). Il serait intéressant de savoir si les sites d’altitude sont continûment occupés par l’espèce. En effet, Michelat et al. (2005) indiquent que sur la montagne jurassienne, la souris «ne semble pas fréquenter les chalets d’alpage de manière pérenne, tout au moins ceux qui sont désertés pendant la mauvaise saison» ce qui suggère des déplacements (attestés par des captures en forêt ou dans des lieux humides) et donc un «certain pouvoir de colonisation». Hainard (1988) citait pourtant la présence de souris dans des chalets situés à 1300 m. dans le Valais et habités par l’homme seulement quelques semaines au printemps et en automne.

Souris grise, Ain, octobre 2006, Olivier Iborra

Menaces et conservation

Souris grise, Saint Pierreville, Ardèche, mai 2017, Eric Gaillard

On l’a vu précédemment, les conditions d’hygiène et d’amélioration des habitations humaines ont probablement eu un effet négatif sur les populations de souris grises en restreignant les zones qui leur sont favorables. Un forum entre les rédacteurs du présent atlas lors de son lancement a démontré que la plupart de ces naturalistes, possédant pour certains d’entre eux plusieurs décennies de pratique, considèrent que l’espèce a progressivement disparu de leur entourage ou s’y est bien raréfiée. Si cela pose un problème plus général concernant notre incapacité de plus en plus grande à tolérer le voisinage des animaux sauvages dans et sur nos habitations et les désagréments-plus ou moins importants-qu’ils peuvent occasionner, il faut bien constater aussi que les quelques nuisances faciles à résoudre qui peuvent découler de la présence de nids d’hirondelles ne peuvent être comparées à celles occasionnées par les souris ou les surmulots (Rattus norvegicus), autrement problématiques.

Toutefois, la lutte contre ces dernières espèces ne doit pas justifier tous les moyens. L’emploi de techniques non sélectives comme les appâts empoisonnés ne peut se produire que dans des cas bien contrôlés et lorsqu’on est sûr que d’autres animaux n’y auront pas accès, pas plus qu’aux cadavres des Muridés détruits.

Les souris (et les rats) sont susceptibles de provoquer diverses maladies plus ou moins dangereuses chez l’homme comme les salmonelloses, la leptospirose, le syndrome pulmonaire à hanta virus, la fièvre d’Haverhill, etc.

Rédacteur : Alain BERNARD, juin 2019