Rat des moissons © Jean-Michel Bompar

Présentation et description

Rat des moissons © Jean-Michel Bompar

Le rat des moissons est peut-être mal nommé, bien que ce soit le nom officiel reconnu par l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN). En effet, « rat » fait d’emblée penser à un animal de la taille du rat surmulot alors que l’espèce est au contraire minuscule, c’est même le plus petit rongeur d’Europe. Son nom latin traduit bien cette petitesse, puisque Micromys minutus signifie « petite souris minuscule ». Sur le plan phylogénétique, le genre Micromys est aussi éloigné du groupe des rats (Rattus) que du groupe des souris (Mus) : ce n’est pas un rat ! Les auteurs qui nomment l’espèce « souris des moissons » commettent donc aussi une erreur, mais la taille d’une souris est plus adaptée à l’espèce. Par ailleurs, la référence aux moissons est erronée, puisqu’il s’agit simplement d’un habitat secondaire pour l’espèce qui est davantage liée aux zones humides. Ce nom provient des premières observations qu’on faîtes Gilbert WHITE en Angleterre (1768) et Peter Simon PALLAS en Russie (1769), dans des champs de céréales. Compte-tenu de ces remarques, certains auteurs actuels avancent le nom de souris des Laîches… En Rhône-Alpes, le rat des moissons ne possède pas de nom vernaculaire connu, mais autrefois, sa proximité avec les hommes pendant les foins a certainement suscité l’émergence de petits noms locaux qu’il faudrait rechercher avant que les témoins ne disparaissent.

Le rat des moissons ne pèse que 6 à 8 grammes à l’âge adulte. Sa tête est plus ronde que celle d’une souris, avec un museau plus aplati et des oreilles moins décollées et plus velues. Ses yeux ne sont pas proéminents et bombés comme ceux des mulots, mais plutôt petits (environ 3 mm de diamètre), ronds et noirs. Les oreilles sont petites et relativement dissimulées, dépassant seulement un peu du pelage. Elles sont velues et possèdent un grand lobe triangulaire, ou anti-tragus, qui couvre le canal auditif. La longueur de sa queue égale presque la longueur du corps et elle est un peu velue avec une petite touffe terminale ; elle présente la particularité d’être légèrement préhensile dans le tiers apical, ce qui l’aide à se déplacer sur les tiges les plus fines. Elle compte 120 à 150 anneaux sur toute sa longueur. Si un rat des moissons est attrapé par sa queue, la peau ne s’en détache pas comme chez les mulots. La couleur du dos est rousse chez les adultes, plus terne chez les juvéniles qui n’ont pas fait leur première mue. Le ventre est généralement blanc, mais on trouve des individus avec le ventre presque roux, en totalité ou en partie, ou avec une ligne rousse de la gorge à l’abdomen. En général, la démarcation est nette entre la couleur du dos et celle du ventre.

Dans l’ex région Rhône-Alpes, comme en France et dans l’ensemble de sa répartition mondiale qui couvre toute l’Eurasie, le rat des moissons correspond à une seule et même espèce, Micromys minutus. A cause de son aire de répartition particulièrement étendue, le rat des moissons a reçu une vingtaine de dénominations à travers l’Eurasie, de niveau spécifique ou subspécifique, mais qui ne sont plus reconnues actuellement. Enfin, Micromys minutus était la seule espèce du genre Micromys jusqu’à ce qu’une nouvelle espèce, Micromys erythrotis, soit récemment proposée pour le nord du Vietnam et la province du Sichuan en Chine (ABRAMOV et al. 2009, LI et al. 2015).

A l’échelle mondiale, les populations semblent stables (KRYSTUFEK et al. 2019), même si l’espèce régresse dans plusieurs pays d’Europe occidentale, comme la Suisse (BLANT et al. 2012), la Grande-Bretagne (PERROW et JOWITT, 1995), voire la France où son état de conservation est qualifié de « Défavorable inadéquat » par la SFEPM (DARINOT, 2018). En France, le rat des moissons n’est pas une espèce réglementée et, en particulier, il n’est pas inclus dans la liste des mammifères nuisibles aux cultures (Arrêté du 31 juillet 2010, annexe B). En revanche, c’est une espèce déterminante pour l’inventaire des Zones Naturelles d’Intérêt Floristique et Faunistique (ZNIEFF) de Bretagne (2004) et d’Ile-de-France (2018).

Le rat des moissons est capable d’utiliser une grande variété d’habitats, avec des exigences différentes en fonction de son activité. Pour la nidification et l’élevage des jeunes, il recherche une végétation dense avec de longues feuilles pour lui permettre de construire ses nids : les zones humides sont aujourd’hui les milieux les plus riches pour ce type de végétation. Pour ses déplacements en différents endroits de son domaine vital, il préfère les végétations herbacées denses mais il s’accommode aussi de prairies fauchées, de linéaires de haies, de talus et de fossés, voire de lisières forestières ou de certains types de landes : la connectivité de ces habitats est alors très importante pour le maintien des populations. En revanche, on connaît mal ses habitats hivernaux qui ne sont pas forcément les mêmes qu’en été ; on sait néanmoins que les roselières peuvent lui offrir gîte et couvert pendant tout l’hiver.

Le rat des moissons est actif toute l’année. Contrairement au mulot sylvestre (Apodemus sylvestris), qui vit dans les mêmes habitats mais qui est franchement nocturne, il reste actif en journée, même si ses pics d’activité se situent la nuit. Certains auteurs considèrent que le rat des moissons est une espèce solitaire qui n’aime pas la compagnie de ses congénères (ROWE et TAYLOR, 1964 ; TROUT, 1978). En effet, les femelles occupent des domaines vitaux qui se recouvrent peu, de même qu’en période de reproduction et pendant l’élevage des jeunes elles ne tolèrent aucun mâle adulte ni juvénile à proximité de leur nid (FRANCK, 1957; PIECHOCKI, 1958). Il n’y a pas de dimorphisme sexuel entre individus, et les femelles peuvent même être plus grosses que les mâles. Par conséquent, les mâles ne contraignent pas les femelles à s’accoupler et les femelles en oestrus choisissent préférentiellement des mâles qu’elles connaissent pour se reproduire (BRANDT et MAC DONALD, 2011). Inversement, hors oestrus, elles passent plus de temps à proximité de mâles inconnus. Dans un marais de plaine, la surface moyenne des domaines vitaux est égale à 5 477 m² +/- 2 389 m² et les rats des moissons parcourent une distance journalière moyenne égale à 90 m +/- 27 m) (Darinot, 2019).

Les rats des moissons poussent des cris perçants quand ils sont en difficulté. Pendant la reproduction, le mâle approche la femelle en émettant des petits cris d’appel auxquels elle répond par des « tseck », jusqu’à ce qu’elle soit prête à s’accoupler. Lors d’agressions entre individus, le volume sonore peut être considérable par rapport à la taille des animaux. Les jeunes dans le nid émettent des ultrasons entre 43 et 114 kHz mélangés avec des sons audibles quand ils ont froid ou faim, ou quand ils sont effrayés (TROUT, 1978b). Le rat des moissons est capable de simuler la mort dans des cas extrêmes (comportement de thanatose), par exemple quand il ne peut plus échapper à un prédateur (Darinot, 2018).

La nourriture du rat des moissons est très variée et l’animal est véritablement omnivore (DICKMAN, 1986 ; OKUTSU et al., 2012). En captivité, il consomme une grande variété de graines, comme de l’avoine, du blé et du millet, mais aussi des fruits d’arbustes comme les cynorrhodons, les cenelles et les mûres. Il ronge avidement l’écorce des branches de saule. Il mange aussi de nombreux insectes, dont des papillons de nuit, des chenilles, des mouches et des criquets ; les parties chitineuses et dures des insectes ne sont pas ingérées (HARRIS, 1979). Dans son milieu naturel, et en particulier dans les zones humides, le rat des moissons trouve une ressource importante dans les tiges creuses de roseau (Phragmites australis) qui abritent quantité de larves d’insectes (DARINOT, 2018). Les rats des moissons n’occasionnent pas de dégâts aux céréales et ils sont plutôt des auxiliaires de culture dans la mesure où ils consomment certains ravageurs des céréales, comme le puceron russe du blé (Diuraphis noxia). Au Japon, l’espèce a été testée dans la lutte biologique contre la noctuelle asiatique Mythimna separata, qui est une ravageuse du riz, dont il mange les larves.

Chez le rat des moissons, la reproduction ne commence vraiment que lorsque la végétation est suffisamment développée pour permettre l’établissement des nids (BUTET et PAILLAT, 1998). En Europe occidentale, en plaine, on peut observer les premiers nids dès le mois de mai, bien que les mâles puissent être sexuellement actifs dès mars. La reproduction atteint un pic de juillet à septembre et peut se poursuivre jusqu’en décembre selon les conditions météorologiques (TROUT, 1978 ; HARRIS, 1979). La taille des portées varie de 2 à 12 embryons avec une moyenne de 5 embryons, selon les régions étudiées, l’âge des femelles et la saison (BUTET et PAILLAT, 1998). Une femelle peut être à la fois allaitante et gestante (TROUT, 1976). Le rat des moissons est renommé pour sa capacité à fabriquer des nids qui sont une des constructions les plus complexes réalisées par un rongeur. Les mâles comme les femelles sont capables de fabriquer des nids. On trouve des nids de mise-bas et d’élevage, que seule la femelle fabrique, et des nids de repos faits par les deux sexes. Les nids d’hiver sont moins bien connus. Le nid d’élevage prend la forme d’une boule qui peut atteindre 12 centimètres de diamètre. La femelle le construit la nuit (FRANCK, 1957), uniquement au-dessus du sol dans les herbes vertes. Pour cette raison, ils ne sont pas réalisés avant fin avril ou début mai, quand la croissance de la végétation est bien avancée, pour atteindre un pic en septembre. Si la météo est clémente, la fabrication des nids peut se poursuivre jusqu’en décembre.

Déroulement d’un cycle de reproduction chez le Rat des moissons (DARINOT, 2018)

Agrippé à la tige par ses pattes postérieures et sa queue, le rat des moissons saisit une feuille proche avec ses pattes antérieures et la mord, ses incisives se déplaçant le long des nervures principales. Il déchire ainsi la feuille dans sa longueur, généralement à partir de sa moitié jusqu’à son extrémité. Parfois, la lacération peut être faite en un seul mouvement, mais avec les longues feuilles, le rat des moissons doit répéter l’opération en plusieurs endroits. Le travail est achevé quand l’extrémité de la feuille est transformée en une série de fines bandelettes, chacune ne contenant qu’une seule nervure. La feuille reste attachée à la tige, et en principe seules les feuilles vertes sont utilisées. Le rat des moissons tire ensuite les feuilles dilacérées et les entrelace pour constituer l’infrastructure du nid, qui peu à peu se renforce. Puis le travail se fait de l’intérieur, le rat des moissons tirant un grand nombre de lanières de feuilles à travers la structure du nid, les mordillant puis les incorporant à la paroi par de rapides mouvements de ses pattes antérieures. Toutes ces feuilles dilacérées restent attachées à leur tige, ce qui explique qu’un nid de rat des moissons ne puisse être retiré en tirant dessus. A la fin, le nid est garni avec de fines lanières de feuilles, réparties parfois en deux ou trois couches distinctes, les plus délicates lanières étant disposées dans la cavité centrale prête à accueillir la portée. Il n’y a pas d’entrée particulière dans le nid, le rat des moissons traversant la paroi en plusieurs endroits, l’élasticité naturelle des feuilles entrelacées permettant au trou de se refermer. Quand le nid contient les jeunes, la femelle évacue toute crotte et répare tout dommage à la structure. Quand ils sont finalement délaissés par leur mère, les jeunes restent dans le nid ou à proximité pendant un jour ou deux ; il y a alors accumulation des crottes et le nid parait défait. C’est à ce moment que des trous dans la paroi apparaissent sans être réparés. Chaque nid d’élevage n’est utilisé que pour une seule portée. Toutefois, les anciens nids d’élevage peuvent être réutilisés par d’autres rats des moissons pour s’abriter, notamment en hiver, ou par d’autres espèces de micromammifères voire même de petits passereaux.

Les nids qui ne servent pas à la reproduction sont probablement construits tout au long de l’année dans des situations diverses, souvent à même le sol. Ces nids non-reproductifs sont construits très rapidement par les mâles ou les femelles, souvent en une demi-heure, et servent d’abri temporaire. Ils sont plus petits, d’environ six centimètres de diamètre. Les feuilles d’herbacées qui les composent n’ont pas forcément été préalablement lacérées avant d’être tressées. Ces nids ne comportent pas de chambre intérieure, ce qui explique que leur paroi soit plus fine et plus flasque (HARRIS, 1979).

La recherche des nids représente la méthode la plus simple et la plus efficace pour mettre en évidence la présence du rat des moissons. Attachés à la végétation enracinée, ils ne peuvent être confondus avec ceux du muscardin (Muscardinus avellanarius), qui sont constitués de matériaux apportés et le plus souvent posés à la fourche de branchages. En revanche, il n’y a pas de relation significative entre le nombre de nids et la taille de la population (RIORDAN et al., 2009) et, de surcroît, l’absence de nid ne signifie pas forcément que le rat des moissons ne vit pas dans le milieu prospecté.

La taille des domaines vitaux du rat des moissons, comme de nombreux petits mammifères, a longtemps été sous-estimée. Dans le marais de Lavours (Ain), la surface moyenne des domaines vitaux est égale à 5 477 m² +/- 2 389 m², sans grandes différences entre les sexes (DARINOT, 2019). Comparativement à son poids, la taille du domaine vital du rat des moissons paraît plus grande que celle d’autres mammifères. La densité des populations varie en fonction des saisons, avec un minimum à la sortie de l’hiver et un maximum en septembre-octobre où elle peut dépasser 200 individus / ha (TROUT, 1976; BUTET et PAILLAT, 1998; DARINOT, 2019).

Etat des connaissances

Historique

La plus ancienne donnée de rat des moissons en France date de 1778, elle correspond à un spécimen collecté à Strasbourg, dans la forêt rhénane du Neuhof, et conservé au Muséum de la ville sous le nom de Mus minutus. Cette donnée est tout à fait remarquable car elle survient seulement huit années après la description de l’espèce par Peter Simon PALLAS en Russie. Dans l’ex région  Rhône-Alpes, la plus ancienne donnée date de 1908, pour deux spécimens collectés à Bonneval en Tarentaise (Savoie) et conservés au Centre d’Etude et de Conservation des Collections à Lyon.

Carte de l'éttat des connaissances sur le rat des moissons

Distribution actuelle

Le rat des moissons présente une distribution particulièrement étendue, puisqu’il se rencontre à travers la majeure partie de la zone tempérée d’Europe et d’Asie, du Japon à la Grande-Bretagne : c’est une espèce eurasiatique. En Europe, on le trouve depuis la Finlande vers le cercle polaire jusqu’aux régions méditerranéennes. Il atteint le nord de l’Espagne, la région de Naples en Italie et le nord de la Grèce jusqu’aux environs d’Istanbul. En Grande-Bretagne, il trouve sa limite au sud de l’Ecosse ; il est absent d’Irlande. En Rhône-Alpes, le Rat des moissons est présent dans tous les départements, mais avec de grandes disparités. Dans le présent atlas, il occupe 92 mailles sur 405 mailles au total, soit  23% de celles-ci.

D’une manière générale, le rat des moissons est encore localement abondant le long des fleuves et des rivières de la région, le Rhône, la Loire, la Saône et leurs affluents, où les zones humides relictuelles lui fournissent des habitats favorables. Plus précisément, c’est dans les départements de la Loire et du Rhône qu’il est le plus commun. Dans la Loire, en 1983, AULAGNIER et al. relevaient déjà une « forte proportion de Micromys minutus dans les pelotes en provenance des gorges de la Loire ». On sait que le rat des moissons peut vivre en contexte urbain et c’est le cas à Lyon où il a été observé en 2016 dans le jardin Jean Couty, dans le quartier de La Confluence, à proximité de la Saône (2ème arrondissement). Le rat des moissons est assez commun dans le nord du département de l’Isère, riche en cultures céréalières et en zones humides, comme dans la plaine de la Bièvre et dans le Grésivaudan (BRUNET-LECOMTE et NOBLET 2013). Dans l’Ain, il est particulièrement abondant dans le marais de Lavours et en Dombes, comme cela était déjà mentionné par AULAGNIER et al. (1980). Le cas de la Dombes, avec ses nombreux étangs et ses chenaux bordés de végétation favorable au Rat des moissons, mérite d’être développé. De récentes analyses génétiques réalisées sur des individus de Birieux (DARINOT, 2019) révèlent une richesse allélique et un taux d’hétérozygotes nettement plus élevés que ceux mesurés dans d’autres populations établies elles aussi dans des habitats favorables (marais de Lavours, méandres du Rhône, marais riverains du lac de Neuchâtel et proches du lac Léman) : ceci reflète l’existence d’une population très forte en Dombes, probablement très étendue et avec de nombreux échanges de gènes entre les noyaux de population, résultant d’une bonne connectivité des habitats à l’échelle du paysage. L’histoire de la Dombes permet de supposer que les populations de rat des moissons ont toujours été denses, probablement depuis le Moyen-Âge. En effet, les étangs actuels ont été creusés par les moines au 12ème siècle à la place d’anciens marécages, qui eux-mêmes devaient probablement offrir des habitats favorables à l’espèce. Dans les départements alpins de la Savoie et de la Haute-Savoie, le rat des moissons est peu commun à cause de l’altitude, mais il mériterait d’être davantage recherché. On sait qu’il peut monter jusqu’à 1 400 m dans les Hautes-Alpes et des témoignages de personnes âgées nous révèlent qu’il vivait autrefois dans les prés de fauche au-dessus de Saint-Jean-de-Maurienne (DARINOT, 2018). En Savoie, il présente de belles populations dans les marais au nord et au sud du lac du Bourget.

Dans les départements au climat plus méditerranéen que sont la Drôme et l’Ardèche, le rat des moissons se fait plus rare. Dans la Drôme, il est connu dans l’ouest du département au bord de l’Isère et de la rivière Drôme, dans la plaine de Valence et dans le Tricastin. En Ardèche, le rat des moissons semble avoir toujours été rare, puisqu’il n’y a qu’une seule donnée récente à Mars alors que jusqu’en 1989, il n’était connu que de Baix, Vernoux et Ussel (FAUGIER et al. 1989). Néanmoins, l’espèce mériterait de plus amples prospections, notamment au bord des cours d’eau et dans les zones humides.

En France, 90 % des données de rat des moissons correspondent à des altitudes inférieures à 400 m (DARINOT, 2018). En Rhône-Alpes, il est assez commun en plaine jusqu’à 850 m d’altitude.

L’abondance du rat des moissons en Rhône-Alpes est contrastée à cause des grandes variations d’altitude et de climat qui influencent la disponibilité en habitats favorables. L’espèce est encore assez abondante en plaine, localement, au nord d’une ligne passant par Grenoble et Lyon. Plus au sud et en montagne, l’espèce est certainement rare, même si des prospections seraient nécessaires pour confirmer son statut. L’abondance du rat des moissons peut être estimée à l’aide de la fréquence des restes osseux contenus dans les pelotes de réjection des rapaces. A l’échelle de la France, le rat des moissons représente en moyenne 1,7 % des proies contenues dans les pelotes, tous rapaces confondus (DARINOT, 2018). En Rhône-Alpes, cette fréquence est égale à 1,4 % : l’abondance régionale du rat des moissons correspond à celle enregistrée au niveau national.

Menaces et conservation

Rat des moissons © Jean-Michel Bompar

Le rat des moissons est si discret et méconnu qu’il ne fait pas l’objet de destruction le visant directement. Il est essentiellement menacé par les modifications de ses habitats, en contexte agricole, périurbain et dans les zones humides.

Destruction et fragmentation des habitats

Dans les paysages agricoles, en territoire de Rhône-Alpes comme dans toute la France, les habitats favorables au rat des moissons ont subi ou subissent encore des destructions. Des centaines de kilomètres de haies vives ont été supprimés avec les remembrements de 1960 à la fin des années 1990. Les prés trop humides où peut se développer une végétation favorable à l’espèce sont encore trop souvent drainés. La conversion d’anciennes prairies et notamment de prairies humides en champ de céréales existe encore aujourd’hui. Les rats des moissons ne sont pas les seuls à pâtir de ces pratiques détestables, tout un cortège de flore, d’insectes et de vertébrés typiques de ces milieux sont anéantis avec lui. Quant à l’urbanisation et au développement des infrastructures routières, ils détruisent certains habitats interstitiels du rat des moissons, essentiels à la connectivité des populations à l’échelle du paysage. Les exemples sont nombreux, comme à Pringy (Haute-Savoie), où l’espèce se maintient dans une minuscule roselière enserrée entre des axes routiers et des lotissements, vestige d’un paysage agricole autrefois ouvert et connecté.

Dans le Pays de Gex (Ain) et plus largement dans le bassin genevois, GILLIERON (2017) a mis en évidence l’importance des menaces qui pèsent sur presque toutes les populations de rats des moissons. La plupart des stations constituent des zones de repli, sans véritable connexion apparente entre elles, mais où les populations résiduelles trouvent néanmoins des milieux de substitution assez favorables, souvent fortement dégradés et menacés à très court terme par l’aménagement du territoire, l’urbanisation, l’agriculture intensive, le réseau routier ou par l’envahissement des plantes néophytes.

Des mesures concrètes

Les mesures favorables à la conservation du rat des moissons sont connues. En premier lieu, il faut identifier et préserver les populations sources installées dans les zones humides, ce sont elles qui permettront la recolonisation des habitats périphériques (MEEK, 2011). En Angleterre, ces populations sources ont permis d’éviter la disparition complète de l’espèce dans plusieurs zones d’agriculture intensive (Suffolk et Norfolk) (PERROW et JOWITT, 1995). Toutes les mesures qui visent à protéger les zones humides vont dans ce sens et elles bénéficient aussi à l’ensemble des biocénoses en place. En contexte agricole, le maintien de bandes enherbées autour des parcelles cultivées permet l’installation du rat des moissons et favorise la connectivité des habitats. JUDES (1981) a montré que le maintien de ces bandes enherbées conduit à l’accroissement des populations, d’autant plus quand les champs sont proches de zones humides. Ces bandes enherbées doivent être composées de végétation dense et haute, mais sans plantes exotiques, sans entretien mécanique ou chimique jusqu’en automne. Les bandes enherbées favorisent aussi nombre d’oiseaux et d’insectes qui sont autant d’auxiliaires de culture : l’agriculteur y trouve son compte. En France, la loi Grenelle II (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010) impose le maintien ou l’installation de bandes enherbées larges d’au moins cinq mètres le long de cours d’eau et de plans d’eau, en cohérence avec les bonnes conditions agricoles et environnementales de la Politique Agricole Commune. En revanche, aucune obligation n’existe en l’absence de cours d’eau.

 

Une étude récente dans l’Ain

En France, le rat des moissons a longtemps été oublié des chercheurs et des écologues. Une récente étude de doctorat est venue corriger cette incongruité, dans le marais de Lavours (Ain), pour évaluer l’effet des inondations sur la structure génétique des populations (Darinot, 2019). Il apparaît que la population du marais de Lavours s’étend sur l’ensemble du marais, sans structuration en métapopulation, et qu’elle déborde même sur le marais de Chautagne de l’autre côté du Rhône en Savoie. Il ressort aussi que les rats des moissons résistent bien aux inondations, sans goulet d’étranglement génétique dû à une surmortalité, particulièrement dans les grandes roselières où ils restent en place pendant les hautes eaux en occupant la partie émergée des roseaux. Au cours de leur vie, ils peuvent se déplacer sur plus d’un kilomètre et leur distance moyenne de dispersion atteint une centaine de mètres. Ces résultats confirment que le rat des moissons est une espèce adaptée aux zones humides.

Rédacteur : Fabrice DARINOT, juin 2019