Campagnol terrestre fouisseur, Haute-Savoie © Christophe .GILLES

Présentation et description

Incisives de campagnol terrestre fouisseur © C.GILLES

Le campagnol terrestre appartient au genre Arvicola (LACEPEDE, 1799) dans lequel se trouvent également d’autres campagnols de grande taille, comme le campagnol amphibie ou rat d’eau (Arvicola sapidus). La systématique du genre Arvicola est complexe : l’isolement de populations au cours des glaciations a conduit depuis le Pleistocène à 3 lignées différentes d’Arvicolidés (WUST SAUCY, 1998) génétiquement différenciées dont   2 sont présentes en Rhône-Alpes. Le campagnol terrestre est une espèce robuste connue aussi sous un certain nombre de dénominations plus ou moins officielles : campagnol aquatique, campagnol fouisseur, campagnol de scherman…et aussi plus vulgairement « rat taupier », « taupe grise », etc.

Le campagnol terrestre est connu sous deux écotypes distincts : l’un essentiellement terrestre et fouisseur, qui nous intéresse ici et qui est présent en Rhône-Alpes, et un écotype aquatique, présent surtout dans le nord-est de la France, excellent nageur et fréquentant (à l’instar du campagnol amphibie) le bord des eaux, rivières ou marais. Certains auteurs récents proposent avec raison d’élever ces deux écotypes au rang d’espèce (CHEVRET et al., 2020).

Le campagnol terrestre forme fouisseuse est un gros campagnol pouvant dépasser 150 g, avec une queue courte (4 à 8 cm), un pelage brun plus ou moins foncé et/ou teinté de jaunâtre, masquant en partie les oreilles. Essentiellement herbivore, il fréquente les milieux prairiaux ouverts dans lesquels il creuse des galeries peu profondes pour la recherche de nourriture, plus profonde (jusqu’à 40 cm) pour les mises bas (DELATTRE et GIRAUDOUX, 2009), et, comme la taupe d’Europe, produit des « taupinières », monticules de terre issue des déblais de creusement. Avec un peu d’habitude, on peut distinguer ces monticules des véritables taupinières et attester ainsi la présence de l’espèce.

La distinction des divers arvicolidés français n’est pas évidente. La taille générale, la longueur de la queue, ou encore le rapport longueur de la queue / longueur du corps, permettent en principe de les distinguer. A noter aussi, la position des incisives, dites proclives, du campagnol terrestre fouisseur : elles sont inclinées vers l’avant, adaptation au creusement que l’espèce effectue avec les dents.

L’espèce peut être confondue avec d’autres grands campagnols ou avec de jeunes rats musqués.

Le campagnol terrestre forme fouisseuse est sujet à des pullulations cycliques, avec des rythmes de 4 ou 5 ans, lors desquels il peut atteindre des densités très élevées, de l’ordre de plusieurs dizaines d’individus à l’hectare ou même plus de 100 individus à l’hectare (DELATTRE et GIRAUDOUX, 2009), susceptibles d’affecter les rendements en herbe des prairies qu’il occupe. Il en résulte que le campagnol terrestre est l’objet de campagnes de destruction par divers pesticides comme la Bromadiolone. Les campagnols terrestres empoisonnés vont alors contaminer à leur tour des espèces prédatrices non ciblées qui s’en nourrissent : rapaces comme le milan royal, carnivores comme le renard, le chat forestier ou l’hermine, occasionnant une surmortalité de ces prédateurs…

Le rythme d’activité du campagnol terrestre est polyphasique. Il y a plusieurs phases d’activité journalière dont une à l’aube et l’autre au crépuscule. En hiver l’espèce est plus facilement diurne qu’en été, avec une activité maximale à midi (AIROLDI, 1979). L’espèce atteint sa maturité sexuelle au bout de 3 ou 4 mois (DELATTRE et GIRAUDOUX, Op.cit.) et plusieurs portées annuelles peuvent se succéder. Cette prolificité, alliée à des conditions favorables (températures, abondance en herbe, etc.), va favoriser les cycles de pullulation.

Etat des connaissances

La répartition européenne du campagnol terrestre forme fouisseuse s’étend d’ est en ouest, de la Roumanie et des confins de la Slovaquie, en passant par les Pays-Bas, jusque dans le centre de la France, le massif central et les Pyrénées sur le continent. Il est absent en Corse. En métropole, le campagnol terrestre semble être en expansion car selon QUERE & LE LOUARN (2011), les populations en limites d’aire de répartition s’étendent. C’est le cas dans la partie alpine de Provence-Alpes Côte d’Azur, au sud immédiat de l’aire prise en considération pour le présent atlas, puisque VANNARD (2009) mentionne l’espèce dans le nord du Briançonnais en Haute Vallée de La Guisane et de la Romanche.

La première donnée rhônalpine date du 6 novembre 1947 à Crozet, dans l’Ain. L’analyse globale des 3686 données, moins de 1% des 410 000 données de la base générale utilisée pour la réalisation de ce présent atlas, montre que la répartition actuelle n’est connue que depuis très récemment. Au XXème siècle (1947-2000), la base de données ne comportait que moins d’un quart des données issues des deux départements historiques, Loire et Isère. Mentionnons quand même, et chronologiquement, trois données à Thoiry et Saint-Maurice-de-Gourdans, dans l’Ain, respectivement en octobre 1975 et en septembre 1981, une autre donnée en août 1995 en Savoie à Entremont le vieux. Plus des trois quarts des données pour Rhône-Alpes datent donc du XXIème siècle.

Un examen plus approfondi de cette situation inédite pour un mammifère en France met en évidence trois périodes d’acquisition de connaissances sur cette espèce en Rhône-Alpes :

1967-2004 : seuls deux départements, la Loire depuis 1967 et l’Isère depuis 1978, ont fourni des informations ;

2005-2013 (début de la période de prise en compte des données pour la réalisation du présent atlas) : entre 3 et 6 départements mentionnent l’espèce selon les années ;

2014-2018 : ce n’est que sur ces 5 dernières années que les 8 départements transmettent tous des données avec un cumul de 88 % des données transmises. L’analyse factuelle des données montre que celles- ci sont très récentes, traduisant ainsi un réel manque d’intérêt pour une espèce qui est parfois également considérée localement comme une « peste » (DELATTRE et GIRAUDOUX, 2009).

Etat des connaissances du campagnol terrestre (forme fouisseur)

Le campagnol terrestre forme fouisseuse est présent sur 232 mailles du présent atlas, soit environ 57 % de celles- ci. Ceci représente une distribution approximative de 24 600 km2 sur les  8 départements rhônalpins.

Notons la spécificité montagnarde de la forme fouisseuse en Rhône-Alpes. Si la très large majorité des données concerne des altitudes entre 400 et 1000 mètres,  le spectre altitudinal est bien plus large, de 140 m à 2200 m. L’amplitude altitudinale est conforme à la littérature, 1366 mètres (calculé sur la totalité des départements avec l’ensemble des données de la base), la donnée la plus basse, 140 m, étant mentionnée à Saint-Pierre-du-Bœuf (42) en 2016, la plus haute provenant d’Isère, à 2200 m sur la commune de  Clavans-en-Haut-Oisans en 2005.

Mentionnons aussi que la majorité des données proviennent non pas d’observations directes de l’espèce, mais des tumuli visibles qu’elle laisse. Les autres types de données concernent des captures (animaux domestiques ou pièges) et des analyses de pelotes de réjection (chouettes effraie et hulotte, grand-duc d’Europe…).

La carte de distribution met en évidence une dichotomie nord/sud qui traduit la limite de répartition de l’espèce, le campagnol terrestre forme fouisseuse étant absent, en France, de la région méditerranéenne. Il est ainsi quasiment absent de la Drôme (présent sur seulement 6 % de la superficie du département, soit environ 400 km2 sur les 6530 km2 que compte celui-ci). Ce département fournit la donnée la plus méridionale, en 2016 à Bézaudun-sur-Bines, à 563 m. En Ardèche, sa présence avérée ne l’est que sur presque 1/3 du territoire (1800 km2) dans les premières montagnes du massif central. Le campagnol terrestre est absent du couloir rhôdanien jusqu’à Lyon, et, au nord de celui-ci en limite Rhône, Ain, Isère.

Si l’espèce y est historiquement bien présente, la partie alpine de la région apparait désertée (en Savoie et  massifs haut-savoyards avec des vides de répartition). Cette absence nous apparait davantage traduire des lacunes de prospection qu’il serait nécessaire de combler, plutôt qu’une absence réelle, puisque l’espèce est en expansion vers le sud des Alpes et sa présence avérée au Col du Lautaret (VANNARD Op. cit. ; QUERE et LE LOUARN, Op. cit).

Dans la partie centrale et nord de la région, d’ ouest en est, la présence du campagnol terrestre forme fouisseuse est aujourd’hui avérée partout. La Loire est entièrement couverte, de même, à quelques exceptions près, que les départements du Rhône et de l’Ain. Les ¾ de l’Isère et de la Haute-Savoie le sont, et, à un moindre degré, la Savoie. Dans le canton de Saint-Julien-en-Genevois (en zone frontalière avec la Suisse) et dans celui d’Annecy le nombre de données par maille apparait nettement plus élevé. Ceci est sans doute à mettre en rapport avec les travaux de HORNER (2017) sur cette espèce dans ce secteur. Cependant, la très grande majorité de la cartographie met en évidence un faible nombre de données par maille traduisant à notre sens deux éléments corrélés : le faible intérêt premier pour cette espèce et la difficulté d’identification au premier abord qui peut conduire à réduire la transmission des données. A ce titre, l’examen de la carte de répartition nous apporte des informations supplémentaires. Avant 2005, début de la période du présent atlas, deux départements ont fourni historiquement la majorité des données : l’Isère et la Loire avec 69 données soit moins de 2 % des données disponibles à l’heure actuelle sur le campagnol terrestre dans la base de données. Si dans la Loire l’espèce a été retrouvée après 2005 sur la totalité des mailles ou sa présence était avérée avant cette date, en Isère sa présence (par manque de prospection sans doute) n’a été mentionnée à nouveau que sur 50 % des mailles ou le campagnol avait été déterminé avant 2005.

Menaces et conservation

Campagnols terrestres fouisseurs prédatés par un renard, Haute-Savoie, 2015 ©Christophe Gilles

Le campagnol terrestre fouisseur ne semble pas devoir être menacé malgré le lourd tribut qu’il paie aux prédateurs que sont principalement le renard, le chat forestier et l’hermine qui le poursuit jusque dans ses galeries.  Parmi les oiseaux, les rapaces tels que le milan royal et le héron cendré figurent aussi dans la liste des prédateurs.

Nettement inféodé aux milieux prairiaux de moyenne montagne, l’espèce est sujette, comme signalé plus haut, à des pullulations périodiques pouvant compromettre en quantité et en qualité les rendements en fourrage. Ces pullulations obéissent à des rythmes plus ou moins réguliers. En Rhône-Alpes, signalons parmi d’autres les années1988, 1994, 1998-1999, 2004-2005.

La lutte contre les campagnols terrestres s’est imposée avec des moyens chimiques (Bromadiolone notamment) qui se sont avérés catastrophiques pour des espèces non ciblées comme les rapaces et les carnivores, particulièrement sur l’année 1998 qui eut recours à des appâts fortement dosés en toxique et ou l’hécatombe a touché par dizaines les milans royaux, renards roux , chats forestier, et aussi sangliers et animaux domestiques.

Depuis, il semble qu’on soit revenu à une lutte « raisonnée » recourant à des appâts secs plus faiblement dosés et des traitements administrés en début de la phase de pullulation (DELATTRE et GIRAUDOUX Op.cit., HORNER, 2017).

Très logiquement devrait s’imposer la protection, au moins locale, des carnivores prédateurs comme le renard et l’hermine spécialisés sur les campagnols terrestres en tant que proie la plus abondante en période de pullulation. Certains groupements d’agriculteurs et même quelques arrêtés municipaux ou départementaux ont déjà agi dans ce sens et devraient être maintenus et généralisés.

Vous avez dit systématique ?

Le genre Arvicola a fait l’objet de plusieurs dizaines d’articles supputant sur la systématique du genre et la position taxonomique des 3 ou 5 espèces concernées en Europe de l’Ouest. Il est impossible de résumer en quelques lignes les travaux sur le sujet,  particulièrement ceux traitant de la lignée terrestris. Une synthèse a d’ailleurs déjà été écrite par AULAGNIER (2009). Les lecteurs intéressés pourront s’y reporter ainsi qu’aux autres références mentionnées.

Si la position taxonomique de A. sapidus (campagnol amphibie) ne pose plus guère de questions, ce sont les deux formes, fouisseuses et aquatiques, de A. terrestris (campagnol terrestre) qui font encore problème.

En 1946, RODE et DIDIER, dans leur Atlas des mammifères de France, distinguent A.terrestris monticola vivant dans les Pyrénées et le Cantal, et A. terrestris amphibius pour le rat d’eau (A. sapidus d’aujourd’hui). A. terrestris, le « rat taupier », est précisé  mais il n’est nulle part question d’une forme aquatique, englobée sans doute dans A.terrestris amphibius.

L’appellation A. amphibius, englobant la forme aquatique de terrestris, va perdurer jusqu’en 1978 où suite aux travaux d’ELLERMANN et MORRISSON-SCOTT (1951), CORBET ne retiendra que l’appellation A.terrestris regroupant la forme terrestre et la forme amphibius, d’où encore des confusions…. Confusions accrue par la 3ème édition de « Mammal species of the World » (édition 2005) qui, bien que reconnaissant l’espèce uniquement terrestre, désigne par A.amphibius les populations aquatiques de Grande Bretagne et celles, aquatiques et terrestres d’une grande partie de l’Europe. DE SELYS-LONCHAMPS avait quant à lui décrit dès 1838 un campagnol montagnard appelé Arvicola monticola et habitant les zones rocheuses des Pyrénées. En 2017, le nom d’Arvicola monticola est attribué par KRYSTUFEK aux campagnols fouisseurs des Alpes et des Pyrénées, contredisant l’appellation A. scherman donnée aux campagnols fouisseurs d’Europe. Cette appellation de A. scherman sera par la suite à nouveau invalidée par les études biochimiques et génétiques portant sur le gène mitochondrial du cytodrome b, par les travaux de WUST SAUCY (1998), et de CHEVRET (Op.cit.).

De cette longue et complexe saga, où en est-on aujourd’hui. ? D’après la synthèse d’AULAGNIER en 2019 et le travail de CHEVRET et al. (Op.cit.). qui vient mettre un point (final ?) à la question, on retiendra :

– Arvicola sapidus, le campagnol amphibie (le « rat d’eau »), ne pose plus guère de problèmes.

– La forme aquatique du campagnol terrestre, désignée longtemps par A. amphibius (et encore aujourd’hui par les anglo-saxons avec risque de confusion avec A. sapidus …) devrait être élevée au rang d’espèce. Elle ne figure normalement pas en Rhône-Alpes.

– Les formes terrestres fouisseuses qui nous concernent en Rhône-Alpes devrait aussi être élevées au rang d’espèce avec non plus la désignation d’A. terrestris, mais Arvicola monticola, espèce déjà décrite par DE SELYS-LONGCHAMPS dès le XIXème siècle et qui aurait antériorité. La répartition de l’espèce englobe les Pyrénées, les Alpes et le Massif Central. Les cartes produites par CHEVRET (et al. 2020) sont significatives à ce sujet.

La liste officielle des mammifères de France métropolitaine, publiée en 2019 par la Société Française pour l’Etude et la protection des mammifères (SFEPM) dans le tome XXI de la revue Arvicola, entérine déjà les appellations Arvicola amphibius pour la forme aquatique du campagnol terrestre et Arvicola monticola pour la forme fouisseuse présente en Rhône-Alpes.

Dans l’attente d’une reconnaissance définitive nous devrons encore rester dans  l’incertitude. Il conviendra en attendant de bien préciser que l’on parle de la forme fouisseuse du « campagnol terrestre », la seule d’ailleurs présente en Rhône-Alpes avec A. sapidus.

Rédacteurs: Daniel Ariagno et Olivier Iborra, décembre 2020