Martre, mars 2016 © Patrick Arrigo

Présentation et description

Martre des pins, septembre 2013 © Magali Minaldi

La martre des pins Martes martes, décrite et nommée pour la première fois par Linnée en 1758, se rapporte au genre Martes qui compte huit espèces dans le monde dont un autre représentant en France, la fouine Martes foina. Avant la description par Linnée, les deux espèces en France sont confondues en une seule, Mustela martes, distinguée en martre forestière et martre domestique. L’appellation « Martes » vient d’une latinisation d’un mot de la langue des Francs définissant l’animal martar puis marthor (BARRAQUAND, 2010). Parfois appelée marte, la martre des pins s’est vue également affublée des qualificatifs « commune », « ordinaire » ou encore « vulgaire ».

L’espèce peut facilement être confondue avec la fouine, partageant une silhouette assez proche, quoique plus élancée et légèrement plus fine pour la martre. Les adultes peuvent peser entre 0,7 et 2,1 kg avec une longueur de la tête à la queue de 60 à 84 cm et une queue de 25 cm en moyenne (BARRAQUAND, 2010). D’une taille légèrement inférieure au chat, la martre des pins se distingue généralement de la fouine par une bavette jaune tirant parfois vers l’orangé et couvrant le cou jusqu’à la naissance des pattes. Sa « cousine » présente quant à elle une bavette blanche qui s’étend jusqu’à l’intérieur des pattes antérieures. La truffe de la martre des pins est sombre tandis que celle de la fouine est rosée. Les oreilles de cette dernière sont courtes et arrondies alors que celles de la martre des pins semblent proéminentes, plus triangulaires et bordées d’une bande plus ou moins fine tirant sur le jaune clair. Le pelage, bien que présentant des variations saisonnières et individuelles, tire généralement davantage sur le brun chocolat chez la martre des pins tandis que celui de la fouine se rapproche d’un gris brun, cette différence étant produite par la teinte des poils de bourre plus clairs chez la fouine que chez la martre. Un dernier critère reste à prendre en compte, la pilosité sur et sous les pattes, qui est plus fournie chez la martre avec des poils pouvant pousser sur les coussinets alors que la fouine reste glabre sur ces mêmes endroits.  Ce  critère est fortement déconseillé pour distinguer leurs empreintes, le substrat, l’âge des individus et le pelage saisonnier pouvant induire en erreur. Il s’avère que la détermination de l’espèce reste délicate sans une bonne expérience et/ou des conditions d’observation excellentes. Pour preuve, une grande quantité des observations collectées par les observateurs rhônalpins se rapportent au complexe martre ou fouine.

L’espèce a longtemps été chassée pour sa fourrure et ses poils servaient à fabriquer les pinceaux de peintre à la gouache et à l’encre (LPO DT Isère, 2018). De nos jours, à l’échelle nationale, la martre est sur la liste des espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » (terme remplaçant celui de « nuisible » depuis 2018) aux activités humaines et en particulier sur l’élevage avicole. A ce titre, elle peut être détruite à l’échelle départementale selon l’arrêté préfectoral en vigueur.

La martre des pins est omnivore et opportuniste. Elle va adapter son régime alimentaire en fonction de la saison et de l’abondance de ressources sur son territoire. Les petits mammifères constituent une part importante de son alimentation, notamment les mulots et campagnols. La martre des pins peut s’attaquer à des proies plus importantes tels que le lapin de garenne ou encore l’écureuil roux qu’elle attrape lors de poursuites le long des troncs et dans les branches des arbres. Au printemps, les oiseaux, leurs nichées ou leurs pontes, peuvent constituer une part non négligeable de son régime. La martre peut ainsi les surprendre directement au nid et le plus souvent dans une cavité arboricole.  Les insectes et mollusques sont consommés de façon moins importante. Les fruits sont en revanche très appréciés et peuvent constituer la majorité de son alimentation entre l’été et l’automne. Enfin, l’espèce peut tout à fait consommer des charognes. La martre des pins a pour habitude d’explorer inlassablement son territoire à la recherche de nourriture. Elle suit ainsi des itinéraires assez réguliers pour visiter caches et abris où elle est susceptible d’y débusquer ses proies.

Comme chez d’autres mustélidés, la martre des pins n’est pas une espèce sociable et sa territorialité peut être qualifiée d’intrasexuelle. Les adultes vivent donc généralement en solitaire et le territoire d’un mâle couvre celui d’une ou plusieurs femelles. Le domaine vital du mâle va ainsi couvrir plusieurs dizaines à quelques centaines d’hectares.  Pour exemple, une étude dans le Jura Suisse (MARCHESI, 1989) montre que la martre possède un domaine vital moyen de 6,6 km² avec une variation de plus ou moins 2,2 km² et des valeurs extrêmes de 1,6 km² à 24 km², cela dans de grands ensembles forestiers. Les domaines vitaux des mâles atteignent 9,2 km² en moyenne alors que ceux des femelles sont aux alentours de 3,4 km². Les mâles parcourent beaucoup de milieux différents pouvant même parfois s’aventurer en milieu ouvert alors que les femelles se cantonnent au cœur des forêts. Contrairement à la fouine, la martre possède plusieurs gîtes sur l’ensemble de son territoire  qu’elle utilisera selon le secteur parcouru et la météo (BULLIFFON, 2007). Ainsi, les cavités arboricoles et tas de branches peuvent être utilisés lors des intempéries et vents violents alors que les nids à la cime des arbres seront utilisés le reste du temps. Ces derniers sont souvent ceux d’écureuils, de corvidés ou encore de rapaces qu’elle renforcera avec quelques feuillages si nécessaire (HAINARD, 1971). Le rut intervient entre juin et août et l’ovo-implantation différée, suite à la fécondation, provoque une reprise du développement embryonnaire à la fin de l’hiver pour une mise-bas entre mars et avril. 2 à 7 petits verront le jour et seront allaités durant près de 2 mois. Ils s’émanciperont à l’automne vers 5 à 6 mois et commenceront à se cantonner sur de nouveaux territoires au début du printemps suivant. Les naissances ont généralement lieu dans des cavités arboricoles ou rocheuses.

Etat des connaissances

La plus ancienne espèce du genre Martes occupait, il y a 2,5 millions d’années, les forêts du continent primitif nommé Gondwana : il s’agissait de Martes vetus. Martes martes semble être  apparue en Europe centrale au milieu du pléistocène il y a un million d’année (Encyclopédie Larousse) et a ensuite colonisé les contrées asiatiques pour devenir la zibeline. Ce n’est qu’ensuite qu’elle serait apparue sur le continent Américain pour donner naissance à  la martre américaine.

En Rhône-Alpes, le site de l’INPN recense une première donnée au paléolithique ancien (1,7 millions d’années)  en Savoie, sur la commune de Saint Thibaud de Couz, dans la grotte Jean Pierre (CHAIX, 1988). La première donnée naturaliste dans la base de données utilisée pour le présent atlas est datée de 1973, dans la Loire, sur la commune de Saint Georges en Couzan.

Sur notre continent européen la martre est présente de la Sibérie jusqu’au nord de l’Espagne (LARIVIERE et JENNING, 2009).  Décrite dans toutes les parties boisées d’Europe (HAINARD, 1971), elle est néanmoins absente de la Grèce et de l’Islande. En France, la martre est présente sur la quasi-totalité du territoire, mis à part l’extrême nord et le pourtour méditerranéen (RUETTE et al, 2004). Néanmoins, une population a été découverte récemment en Camargue ou elle fréquente les ripisylves (OLIVIER, in POITEVIN et al, 2010).

Carte de l'état des connaissances sur la martre des pins

En Rhône-Alpes, la martre a une large répartition. Ses limites sont altitudinales à l’ouest et  elle reste absente de nombreux sommets avec une limite altitudinale correspondant à celle des boisements. On notera plusieurs observations au-delà,  notamment une observation à 2456 mètres d’altitude en Savoie. HAINARD rapporta lui aussi une observation en 1947, en Savoie, au col de Névé (à 2757 mètres d’altitude).

Une seconde limite d’aire de répartition est présente au sud de Rhône-Alpes, en Drôme et Ardèche, dans les secteurs de plaine. Cette absence semble être dans le prolongement de celle constatée sur le pourtour méditerranéen et réaffirmée récemment par le dernier atlas des mammifères de PACA (Pierre RIGAUX- LPO, 2016). La méconnaissance de l’espèce ne permet pas de connaitre précisément les causes de son absence dans les forêts méditerranéennes, mais le climat et sa végétation pourraient en être la cause.

Si la martre est bien connue dans les grands ensembles forestiers de résineux ou forêts mixtes, elle est aussi présente dans les secteurs avec des boisements morcelés composés essentiellement de feuillus ou elle semble même en progression depuis 50 ans. Pour exemple, elle était encore inconnue en Dombes à la fin des années 60 (ARIAGNO, 1976 ; FAYARD et al., 1979). L’absence de données dans le secteur de la Bresse et du Val de Saône semble être due à un manque de prospections.

En Rhône-Alpes,  la phénologie des observations montre que la plupart des observations ont lieu aux mois de mai, juin et juillet, période correspondant au rut, avec  un second pic, moins important, visible au mois de mars (rapporté surtout par des écrasements).  Ce second pic semble traduire l’augmentation des déplacements d’individus lors de la recherche de territoire (induisant de nombreux changements dans la structure des populations de martres).

Martre, mars 2016 © Patrick Arrigo

Menaces et conservation

Martre, Ballaison, Haute-Savoie © Christophe Gilles

La martre est une espèce commune en France, ainsi que sur l’ancienne région Rhône-Alpes. Elle semble néanmoins limitée par l’absence de forêts avec une structure de végétation lui permettant de se déplacer à de grandes hauteurs et par une ressource alimentaire insuffisante. Elle pourra donc être logiquement impactée par les grandes zones urbaines (contrairement à la fouine), mais aussi par les grands ensembles de cultures céréalières dépourvus de haies ou de boisements isolés. Capable de nager, les zones humides sont compatibles avec son habitat.

Sa préférence pour les milieux forestiers en fait une espèce indicatrice de la trame verte. Elle pourra donc être choisie comme telle dans différentes études sur le sujet.

Les écrasements routiers semblent toucher la martre assez fortement puisque cette espèce se retrouve à la neuvième position des constats d’écrasements routiers fait par la LPO en 2018. Les infrastructures routières passant au travers de milieux boisés sont des obstacles venant segmenter son habitat, une martre pouvant  ainsi être amenée à les traverser plus ou moins fréquemment.

L’espèce est aussi considérée comme « susceptible d’occasionner des dégâts »,  en particulier sur les élevages avicoles. A ce titre,  il est possible de l’éliminer sur un département, cette décision étant instruite par un arrêté préfectoral révisable tous les 3 ans. La martre peut ainsi être piégée ou tirée afin d’être régulée. Si cette espèce est de moins en moins visée par les arrêtés préfectoraux sur la totalité d’un département, elle est généralement  « régulée » à proximité des élevages avicoles (ou autres élevages susceptibles d’être impactés).

Notons que cette espèce participe à la régulation des micromammifères pouvant eux même occasionner des dégâts conséquents sur l’agriculture. Aussi, elle participer à l’élimination des individus porteurs de la maladie de Lyme, en ingérant ceux-ci , sans être pour autant vecteur de cette maladie.

Etude des domaines vitaux de martre dans un secteur de boisements morcelés en Rhône-Alpes

De 2003 à 2009, l’ONCFS a suivi autant de fouines que de martres par radiopistage sur une zone d’étude de plus de 51 000 hectares en Bresse (Ain). Ainsi, près de 70 individus ont été suivis, de 2 à 18 mois,  lors de suivis diurnes et nocturnes. La Bresse est une plaine agricole composée d’une mosaïque d’habitats dont les boisements ne sont pas majoritaires et de faibles surfaces. Le réseau de haies y était important avant la politique de remembrement mais reste présent sur l’ensemble du territoire dans une moindre mesure. Les données récoltées montrent que, dans ces conditions, la martre possède un domaine vital de 2,3 km² en moyenne, beaucoup moins important que ceux étudiés par MARCHESI dans les grands ensembles forestiers du Jura Suisse  (moyenne de 6,6 km²). Cette différence pourrait être due à l’accès à une ressource alimentaire plus riche et diversifiée en Bresse que dans les grandes forêts mixtes plus en altitude, les individus limitant leurs déplacements en fonction de la quantité de nourriture à proximité. Les gîtes d’une martre sont répartis sur l’ensemble du domaine vital de façon homogène, alors que chez les fouines, les gîtes sont regroupés sur un espace réduit situé souvent au cœur même du domaine vital. Les martres établissent leurs domaines vitaux avec 50% à 80% de recouvrement par la forêt. Des différences apparaissent entre mâles et femelles d’une même espèce. Pour la martre et la fouine, de façon générale, les mâles ont un domaine vital plus grand que celui des femelles. Mais chez la martre, les femelles ont un domaine vital qui comprend en moyenne 75% d’espaces boisés alors que les mâles n’en ont que 50%. Ces résultats issus de suivis par radiopistage permettent de renforcer certains éléments biologiques et d’en savoir plus sur la structure d’une population dans une région avec des boisements morcelés.

 

Rédacteurs: Francisque Bulliffon et Emmanuel Vericel, décembre 2019