Lièvre d'Europe, Ste-Foy-les-Lyon, avril 2016 © François Pellegrino

Présentation et description

Lièvre d'Europe, Bugey, 2019 © Olivier Iborra

La littérature cynégétique affuble le lièvre d’Europe d’un grand nombre de noms parmi lesquels les plus répandus sont : capucin, bouquin, rouquin, bossu.

Pesant de 2,5 à 6 kilos à l’état adulte, le lièvre d’Europe  est le Lagomorphe de plus grande taille de la faune continentale française. Outre ce critère de taille, lorsque les deux espèces sont en situation de sympatrie, il se distingue du lièvre variable Lepus timidus par des allures plus dégingandées et anguleuses (d’où le surnom de ‘bossu’). Ses oreilles sont longues (12 à 14 cm), le double de celles du lapin de garenne Oryctolagus cuniculus. Elles sont de teinte générale grise avec une nette extrémité noire. Le pelage du corps va  du roussâtre (d’où son autre surnom de ‘rouquin’)  au brun-roux, parfois un peu plus clair en hiver. Cette teinte générale s’avère très mimétique et il est souvent difficile de distinguer un animal immobile dans son gîte. Il existe des variations individuelles (les lièvres forestiers étant souvent décrits comme plus sombres que ceux des milieux agricoles) et régionales mais celles-ci n’apparaissent pas clairement en Rhône-Alpes. Le ventre est blanc. La longue queue (8 à 11 cm), est bicolore, blanche sur le dessous et noire dessus, généralement portée rabattue. Les yeux sont grands et de couleur jaune-orangée.

La distinction des sexes est impossible dans la nature. Sur des animaux vivants tenus en main, cette distinction ne peut être réalisée  qu’après avoir maintenu la queue dressée et étiré fortement la région génitale. Même ainsi, cette détermination demande un petit apprentissage. Cette difficulté est probablement à l’origine de la légende des lièvres d’importation castrés sur leur lieu de capture afin de les rendre inaptes à la reproduction dans nos contrées.

Tout aussi difficile est la détermination de l’âge. In natura, seuls les juvéniles de taille sensiblement plus petite que les adultes peuvent être considérés comme étant dans leur première année. Ensuite, la différence ne peut être effectuée que l’animal tenu en main. Il faut alors palper minutieusement la base du cubitus. Chez les jeunes de moins de 6-7 mois, celle-ci possède un cartilage de liaison sur sa face externe que ne possèdent plus les animaux plus âgés (BROKHUIZEN & MAASKAMP 1979, PEROUX  & GUITTON 2011). Toutefois, il convient d’accepter une marge d’erreur lors de cet examen dans le cas d’animaux âgés de 4 à 7 mois au cartilage parfois peu perceptible ou déjà absent.

 La systématique du genre Lepus a beaucoup évolué au fil des siècles et des décennies passés. Au début du 20ème siècle, 71 espèces figuraient dans ce genre. Au début du XXIème ce nombre a été réévalué à 32 parmi lesquelles 4 en Europe (WILSON  & REEDER  2005, FLUX  & CHAPMAN  2008). Dans la seconde moitié du XXème siècle, la plupart des auteurs, malgré des approches différentes, ont regroupé sous le nom de Lepus capensis les lièvres (excepté le Lièvre variable) d’une vaste zone couvrant l’Europe, l’Afrique et l’Asie malgré des variabilités géographiques fortes, notamment de taille (PETTER  1984). Si, à l’échelle mondiale, la systématique de ce genre n’est pas totalement résolue, le nom de Lepus capensis doit être désormais réservé à une espèce africaine (également présente en Sardaigne) alors que les lièvres ‘bruns’ européens ont été répartis en 4 espèces. Deux sont endémiques de la péninsule Ibérique: L. castroviejoi et L. granatensis, introduit en France dans les Pyrénées-Orientales et en Provence – Alpes – Côte d’Azur (OLIVIER et al., 2016). L. corsicanus est localisé à la Corse, la Sicile et une partie de l’Italie continentale. Seul L. europaeus possède une vaste répartition eurasiatique (schématiquement au Sud du 64ème parallèle) et il a en plus été introduit en Corse, dans les îles Britanniques (Grande-Bretagne, Irlande) et en Scandinavie (AULAGNIER et al. 2008,  GUNNAR et al. 2007).

En Rhône-Alpes, l’hybridation ponctuelle avec le lièvre variable pourrait être envisagée dans la zone de sympatrie des espèces, au-delà de 1800 m. d’altitude environ. Cela ne peut plus être le cas en Chartreuse puisque le lièvre variable a disparu de ce Massif au milieu des années 1990 (cf monographie consacrée à cette espèce). Par contre, l’hypothèse pourrait se poser ailleurs en Isère et dans les départements savoyards. De tels cas sont rares et souvent peu ou mal documentés, ainsi celui décrit presque aux portes de Rhône-Alpes dans le Champsaur  (PN Écrins & CREA 1995) et pour lequel aucune analyse génétique n’a été effectuée à notre connaissance. De tels hybrides existent pourtant bien, notamment dans des zones où le lièvre d’Europe a été introduit. C’est le cas en Suède (GUNNAR et al. op.cit). Là où les deux espèces vivent en véritable sympatrie, elles n’occupent pas les mêmes milieux et ces cas, s’ils existent, doivent rester exceptionnels.

Le lièvre d’Europe est tout à fait autochtone dans la région Rhône-Alpes mais des analyses biologiques révéleraient probablement des situations contrastées. En effet, les populations locales ont souvent été confortées par des lâchers d’animaux d’élevage ou capturés ailleurs en France ou en Europe. L’espèce est classée gibier dans tous les départements rhônalpins. Elle figure en annexe III de la Convention de Berne et présente une préoccupation mineure dans les listes rouges UICN mondiale, française et régionale (DE THIERSANT & DELIRY 2008). La tendance d’évolution des populations n’est pas connue en France (UICN 2017).

Ce lièvre présente en Rhône-Alpes comme probablement partout dans le reste de la France un cycle de reproduction très long. Le rut, appelé aussi bouquinage, est le plus souvent nocturne comme la plupart des activités de l’espèce mais il constitue aussi une des rares possibilités de voir en période diurne des lièvres faisant autre chose que se nourrir ou s’enfuir. Il réunit un à plusieurs mâles (jusqu’à plus d’une dizaine occasionnellement : 12 individus le 8 mai 2017, 14 le 15 mars 2014 et même 20 le 4 mai 2014, toujours à Pérouges-Ain) à la poursuite d’une femelle. Ces courses sont ponctuées d’arrêts avec parfois des combats spectaculaires entre mâles mais aussi entre la hase et ses prétendants. En Rhône-Alpes, le bouquinage a été noté entre début janvier (4 janvier 2013 à Gigors et Lozéron-Drôme) et mi-juillet (18 juillet 2015 à Beaufort-sur-Gervanne-Drôme). L’absence d’observation dès le creux de l’été peut s’expliquer par le fait que la grande majorité des mises-bas a alors eu lieu et que les adultes sont alors plus discrets, peut-être aussi par le phénomène de superfétation, les hases pouvant être fécondées alors même qu’elles sont encore en gestation. Dans l’Ain, des naissances peuvent être notées à peu près tous les mois de l’année mais il existe un net creux de celles-ci d’octobre à janvier. Les données régionales sont trop peu nombreuses pour estimer la fécondité locale de l’espèce. La littérature nationale fait état de 3 à 4 portées annuelles, chacune de 1 à 3 levrauts (PEROUX & GUITTON, op.cit.) . Dans notre région, le climat et l’altitude influent probablement sur cette fécondité.

La densité des populations est impossible à préciser. Dans les milieux ouverts de plaine, des parcours nocturnes printaniers sur des itinéraires reconduits d’année en année permettent de définir des indices kilométriques d’abondance (IKA). Sur les meilleurs sites, ces IKA atteignent ou dépassent les 6 individus. A l’opposé, ils peuvent être inférieurs à 1 sur des zones moins propices à l’espèce. Bien évidemment, cette technique ne peut pas être utilisée dans des milieux fermés. Lorsque les conditions de recensement, dont la météorologie, sont identiques, elle possède au moins la vertu d’établir des comparaisons interannuelles avant la reproduction, ce qui est déjà un élément de gestion de l’espèce.

Dans une grande majorité des cas, les observations de lièvres, souvent réalisées en période diurne, se rapportent à des individus seuls. Pourtant, les petits groupes plus ou moins lâches ne sont pas rares. Dans l’Ain, en dehors de regroupements manifestes pour le bouquinage, de tels groupes ont été notés à 1116 reprises entre le 1er janvier 2011 et le 8 août 2018 et comptaient en moyenne 2,68 individus (valeurs extrêmes : 2 à 11).  De véritables suivis nocturnes permettraient sans doute de montrer la réalité du comportement sociable, presque grégaire, du lièvre et de préciser la régularité et l’ampleur des groupes.

Etat des connaissances

Carte de l'état des connaissances sur le lièvre d'Europe

En Europe, ce lièvre est bien répandu dans la plupart des pays continentaux en dehors de la péninsule Ibérique et d’une grande partie de la Scandinavie (AULAGNIER et al., op. cit.). En France, la distribution de l’espèce n’est pas que «le reflet de l’activité des Sociétés de Chasse» comme le suggérait PETTER (op.cit.). L’espèce est réellement peu présente de la Bretagne aux Pyrénées-Atlantiques, des Pyrénées-Orientales au Gard et dans une grande partie de la Franche-Comté. A l’inverse, la Normandie, le Nord-Pas-de-Calais, les grandes plaines du Nord-Ouest parisien, le centre de la France, le Massif central et la région Rhône-Alpes comptent parmi ses bastions dans notre pays.

Dans notre région, ce lièvre est le plus répandu des Lagomorphes, présent dans tous les départements et sur 93 % des mailles du présent atlas. Trois départements, L’Isère (23 %), l’Ain (22 %), et la Loire (19 %) fournissent à eux seuls presque les deux tiers des données régionales. Cette large répartition met en évidence le caractère ubiquiste de l’espèce. Cependant, plusieurs ensembles de plus forte présence sont bien visibles sur la carte atlas. Le département de la Loire (sauf les Monts du Lyonnais), la moitié méridionale de celui du Rhône (agglomération lyonnaise exclue), la majeure partie du département de l’Ain, le nord de celui de l’Isère auquel s’ajoutent le Trièves et la Matheysine, l’ouest de la Haute-Savoie, la majeure partie du département de la Drôme (hors couloir rhodanien) forment un continuum écologique présentant des aspects relativement similaires.

En effet, ce sont probablement les milieux qui expliquent le plus sa répartition régionale. L’espèce fréquente essentiellement des paysages à vocation majoritairement agricole situés en plaine ou à l’étage collinéen, biotopes ouverts ou bocagers où alterne fréquemment une mosaïque de prairies et de céréales, le plus souvent à paille. Probablement originaire de zones steppiques, l’espèce peut se contenter de milieux très ouverts avec une végétation herbacée comme c’est le cas sur les aérodromes ou certains camps militaires. Pourtant, certaines populations sont très largement forestières (feuillus ou forêts mixtes, plus rarement résineux purs) pour peu que des clairières ou que des zones plus ouvertes parsèment ces milieux. Les densités y sont apparemment bien moindres que dans les régions agricoles. Certaines anomalies apparaissent çà et là dans la carte régionale de répartition de l’espèce, dues peut-être à des manques de prospection. C’est très probablement le cas d’une grande partie de la Bresse dans l’Ain d’où bon nombre d’espèces animales sont curieusement absentes. C’est peut-être aussi le cas en Ardèche où les populations semblent très éparses. Par contre, la rareté de l’espèce aux extrémités nord du Bas et du Haut-Bugey s’explique difficilement. Une combinaison de l’urbanisation et de milieux (vergers et vignobles) devenus peu favorables  explique probablement la faible présence du lièvre dans la vallée du Rhône au sud de Valence.

L’altitude est de toute évidence le deuxième facteur influençant la répartition régionale de l’espèce. L’enneigement hivernal réduit l’accès aux sources de nourriture et restreint la durée de la période de reproduction. Les forêts de résineux pures présentent des ressources alimentaires faibles, voire inexistantes. Voilà ce qui explique de toute évidence la sensibilité à ce facteur altitudinal. C’est donc sans surprise que l’espèce est rare ou absente des parties orientales des départements savoyards ou du sud-est de l’Isère. En dehors des Alpes, l’espèce a fourni quelques mentions jusqu’aux plus hauts sommets du Jura, atteignant 1680 m à Echenevex le 30 octobre 2012 et même 1705 m près du Crêt de la Neige (Ain) le 23 décembre 2011.

L’amplitude altitudinale atteinte par le lièvre en Rhône-Alpes est forte: de 51 m à Pierrelatte (Drôme) à 2720 m à Saint-Christophe-en-Oisans (Isère) en 2002 mais ce sont bien les régions de plaine ou de l’étage collinéen qui sont les mieux peuplées. Il est difficile de préciser si la progression des altitudes record entre le précédent atlas (1800 m à Bonneval et 1950 m en Tarentaise – Savoie- FRAPNA 1997) et celui-ci (10 données à plus de 2000 m pour le seul département de la Savoie, dont 1 à 2456 m entre 2008 et 2011) est une réalité ou liée à une amélioration de nos connaissances.  Dans la région PACA voisine, la mention la plus élevée est de l’ordre de 2600 m (DUPRAZ in LPO Paca et al. 2016).

Menaces et conservation

Lièvre d'Europe, Viry, Haute-Savoie, 2019 © Christophe GILLES

De multiples risques pèsent sur cette espèce. Le plus important est probablement la modification des habitats. Dans de nombreuses zones, la transformation d’une mosaïque de prairies, céréales à paille et d’oléagineux dont le colza vers des monocultures extensives, particulièrement le maïs, a considérablement réduit les ressources alimentaires et les sites de reproduction du lièvre. En Plaine de l’Ain par exemple, toutes les espèces des milieux agricoles ont souffert de cette maïsiculture généralisée et le lièvre, autrefois omniprésent et abondant, est devenu peu fréquent, présentant souvent des IKA proches de 1.  A l’opposé, la déprise agricole des zones de basse et moyenne montagne et le reboisement qui s’ensuit conduisent à cette même régression. Dans les plaines, la densification des routes et l’augmentation de la circulation sont responsables d’une forte mortalité de l’espèce (relevant parfois d’une recherche délibérée par des braconniers  qui empruntent volontiers les chemins et routes par temps humide).

La pression de chasse peut également être un facteur de régression de l’espèce, particulièrement là où de simples règles de gestion ne sont pas appliquées. La logique scientifique voudrait que l’ouverture de la chasse n’intervienne pas avant début octobre, période lors de laquelle un minimum de hases sont gestantes ou allaitantes et les jeunes devenus indépendants. Elle voudrait aussi que la chasse soit immédiatement arrêtée si le tableau du premier jour de chasse compte moins de 50 % de jeunes de l’année. Toutefois, lorsque la réduction des jours de chasse et l’adoption d’un Prélèvement Maximal Autorisé (PMA) sur une zone suffisamment étendue sont concomitants d’une amélioration des biotopes, l’espèce semble vite en capacité d’augmenter ses densités locales. De même, l’apparition en grand nombre du sanglier (Sus scrofa)  a incité bon nombre d’anciens chasseurs de petits gibiers soit à abandonner la chasse soit à ne plus se consacrer qu’au Suidé;  les chiens créancés sur la seule voie du lièvre sont devenus ainsi très peu nombreux. Dans les dernières décennies du 20ème siècle, un certain nombre de sociétés de chasse ont eu recours à des lâchers de lièvres d’élevage ou importés de pays étrangers. La plupart de ces lièvres ont très vite disparu et aucun cas de renforcement, ni à plus forte raison de rétablissement, des populations locales n’a été observé. Ces lièvres ont peut-être même contribué à importer des maladies (voir ci-après) et à accentuer la raréfaction des lièvres autochtones. Il est aussi permis de s’interroger sur l’impact génétique qu’ont eu ces lâchers.

Le lièvre est susceptible de présenter un assez grand nombre d’agents pathogènes. Par exemple, les coccidioses sont assez fréquentes mais ne présentent généralement pas un caractère dangereux à l’échelle d’une population. Il n’en est pas de même pour la tularémie (transmissible à l’homme dans certaines conditions) dont il est permis de penser que l’apparition en Europe de l’Ouest a été favorisée autrefois par les lâchers d’animaux importés du centre et de l’Est de notre continent. Cette pathologie semble provoquer la mort de 7% environ des animaux (DUMAS 2005). Le Lièvre développe par ailleurs l’European Brown Hare Syndrome (EBHS), découvert au début des années 1980 et non transmissible à l’Homme. Une découverte récente vient de démontrer que des transmissions de la seconde souche de la maladie hémorragique virale du lapin de garenne (RHDV2) apparue en 2010 en France, peuvent avoir lieu chez toutes les espèces de Léporidés européens (LE GALL-RECULE et al. 2017), provoquant une pathologie proche de l’EBHS avec des taux de mortalité paraissant très élevés.

Pour cette espèce, les enjeux de conservation sont donc directement liés d’une part à la réduction de la fragmentation des habitats et d’autre part à la lutte contre les agents pathogènes qui risquent d’affecter conjointement les lièvres et le lapin de garenne dans les années à venir.

Rédacteurs: Alain BERNARD et Olivier IBORRA, septembre 2018