Lynx boréal, région cerdonnaise, Ain, avril 2018 © Jean-Paul Chanut

Présentation et description

Lynx boréal, région cerdonnaise (Ain) , 6 avril 2018 © Jean-Paul Chanut

Le lynx boréal Lynx lynx (Linnaeus, 1758) a l’allure d’un très grand chat, pesant entre 15 et 25 kg, pour une hauteur au garrot d’environ 50 à 70 cm. Haut sur pattes et larges pieds en forme de raquettes, le lynx se reconnait à sa queue très courte terminée par un manchon noir, son pelage beige à roux plus ou moins tacheté, sa petite tête bordée de favoris et équipé de pinceaux (touffes de poils noirs)  sur les oreilles. Les confusions sont possibles – et parfois fréquentes – avec les chats forestiers, mais aussi les lièvres et les chevreuils lorsque ceux-ci sont aperçus s’enfuyant de dos, de loin, au crépuscule (tache blanche sur l’arrière-train et petite queue non ou peu visible).

La sous-espèce originelle Lynx lynx lynx ayant  disparu de France à la fin du XIXème siècle sous l’effet des persécutions, c’est la sous espèce Lynx lynx carpathicus qui est présente dans notre pays.

Le lynx, classé dans la catégorie en danger dans la liste rouge des mammifères continentaux de France métropolitaine (novembre 2017), est protégé nationalement  depuis 1981. Lynx lynx bénéficie aussi d’une  protection au niveau européen (Annexe II de la Directive Habitats) car considéré d’intérêt communautaire. C’est aussi une espèce indicatrice de la Trame Verte et Bleue pour la région  (espèce cible du Schéma Régional de Cohérence Ecologique) et inscrite en catégorie vulnérable dans la liste rouge des vertébrés de Rhône-Alpes.

En France, de nos jours, le lynx est avant tout une espèce des forêts de montagne. Il y occupe de très vastes domaines vitaux, entre 100 et 400 km2, comprenant un mâle et une à trois femelles. Dans les secteurs les plus favorables, la densité peut donc attendre 1 à 1,5  individu au 100 km2 (Jura), ce qui reste loin d’une prétendue pullulation parfois entendue ici ou là.

Lynx lynx est un prédateur consommant essentiellement les proies qu’il a tué après les avoir chassé à l’approche et/ou à l’affut. Spécialiste de la chasse aux ongulés sauvages de taille moyenne (90 % de son régime alimentaire), le lynx tue environ une soixantaine de chevreuils ou chamois par an, ce qui reste très faible au regard des autres causes de mortalités affectant ces peuplements d’ongulés (chasse, collisions routières, maladies, chiens divagants,…). Le reste de son alimentation est constitué de renards, de lièvres, de jeunes cerfs, de marmottes, de blaireaux ou bien encore d’oiseaux. La prédation sur animaux de rente (ovins principalement) peut localement être non négligeable et est souvent due à des individus spécialisés comme sur certains foyers d’attaque dans le massif jurassien. Sur l’ensemble du territoire national, on compte généralement 50 à 100 victimes par an.

La reproduction du lynx débute chez nous dès février avec le rut (rut de février à avril avec un pic en mars). Les forêts résonnent alors parfois des cris caractéristiques du grand félin cherchant un partenaire. Après 10 semaines de gestation, la femelle donne naissance à 2 ou 3 petits (appelés chatons) dans une anfractuosité rocheuse, sous une grosse souche, parfois même dans un terrier de blaireau. Après 10 mois d’élevage et d’éducation dispensée uniquement  par leur mère, les jeunes quittent le territoire à la recherche de leur propre territoire. Comme chez de nombreux mammifères, durant cette période, la mortalité juvénile demeure très  importante (malnutrition, maladie, accident,…) : 50 % des  jeunes lynx meurent avant l’âge de 1 an. Les survivants devront ensuite atteindre l’âge de 2 ou 3 ans pour pouvoir tenter de se reproduire à leur tour. La longévité de l’espèce en milieu naturel n’excède pas 15 ans.

 

 

Etat des connaissances

Historique

En Europe, le lynx est essentiellement présent dans la partie nord et est du continent : Scandinavie, nord de la Russie, pays baltes, Europe centrale (Carpathes, Balkans).

En France (et en Europe de l’ouest), depuis des siècles, la pression de chasse et la destruction directe (armes à feu, piégeage et poison), le recul des habitats forestiers lié au développement de l’agriculture et à l’exploitation de bois  et la régression  des ongulés sauvages ont  petit à petit amené le  lynx, autrefois présent sur l’ensemble du territoire national, vers une régression irréversible….  Inexorablement, le lynx a fini par disparaitre des plaines, puis des massifs montagneux. Le grand félin a ainsi été éradiqué des Vosges au XVIIème siècle,  du Jura et du massif central fin du XIXème siècle, des Pyrénées  en 1917 et des Alpes en 1928 (dernier lynx tué dans la haute vallée du Guil, dans les  Hautes Alpes).

Précisons que dans toutes les Alpes françaises le lynx était autrefois considéré comme commun et sa capture régulière jusqu’au début du XIXème siècle. Par exemple, pour la Haute-Savoie, le grand naturaliste suisse Robert Hainard relatait ainsi des captures au Salève (1820), près d’Annecy (1827), près de Thônes (1830), dans la vallée de Chamonix (1849), aux Houches (1850), au Brévent (1852) et près de Servoz (1860).

Trois évènements ont permis le retour du lynx boréal dans notre pays : le lâcher d’une vingtaine d’animaux dans le Jura suisse dans les années 1970 (certains ayant rapidement rejoint le versant français du Jura, dont un animal tué en 1975 dans le pays de Gex),  le lâcher d’une quinzaine de lynx dans les Alpes occidentales suisses entre 1970 et 1976 (une donnée collectée en Isère en 1976 provenant probablement de cette nouvelle population source) et la réintroduction d’’une vingtaine d’individus dans le massif vosgien, entre 1983 et 1993 (malgré une très importante mortalité…).

Pour Rhône-Alpes, le précédent atlas des mammifères sauvages de Rhône-Alpes (FRAPNA, 1997) faisait mention de la présence plus ou moins marquée de l’espèce dans l’Ain, la Savoie, la Haute-Savoie, l’Isère et, plus localement, dans la Drôme (Vercors). Des rares observations (avec réserves) étaient aussi relatées en Ardèche.

Carte de l'état des connaissances sur le lynx boréal

Distribution actuelle

Aujourd’hui, la population de lynx en France se répartit en trois noyaux, avec une aire de présence régulière totalisant 8700 km2 (ONCFS, 2017) :

Le noyau vosgien, issu de réintroductions dans les années 1983 à 1993, avait très récemment (quasi ?) disparu, mais les réintroductions récemment opérées dans le Palatinat allemand (à une quarantaine de kilomètres de la frontière française) pourraient aider l’espèce à lentement recoloniser son ancien territoire. L’aire de présence régulière du lynx dans les Vosges, en chute libre depuis des années,  était estimée à 700 km2 en 2017.

Le noyau jurassien (estimé en 2013 par l’ONCFS à plus d’une centaine d’individus, pour une aire de présence régulière évaluée à 6800 km2 en 2017) et, dans une moindre mesure,  le noyau alpin (effectifs estimés entre 15 et 25 individus par l’ONCFS en 2013, pour une aire de présence régulière évaluée à 1100 km2 en 2017) constituent aujourd’hui la quasi-totalité de la population française.

Pour Rhône-Alpes, les cartographies de l’ONCFS pour la période 2005-2017 indiquent une présence régulière ou occasionnelle sur sept départements, seule la Loire étant dépourvue de donnée de présence. Précisons que les présences régulières ne concernent que les départements de l’Ain, la Savoie et la Haute-Savoie. Comme le montre la carte de répartition, l’Ain constitue bien le bastion de l’espèce pour la région, espèce qui essaime vers les départements limitrophes et au-delà. Ainsi, la très grande majorité des observations et des données lynx ont pour origine le département de l’Ain, les trois départements alpins (et à plus forte raison les départements de l’Ardèche, de la Drôme et du Rhône) ne représentant comparativement qu’une partie infime de l’ensemble des données de l’espèce en Rhône-Alpes.

Les 1300 données de lynx boréal utilisées pour produire cette cartographie rhônalpine s’échelonnent sur des altitudes variant de 400  à 1800 m, avec un maximum de contact entre 600 et 1000 m et un préférendum autour de 800 m. Les cas d’observations directes concernent des individus solitaires (adultes ou subadultes), des couples ou bien encore des mères avec jeune(s). Ainsi, ont pu être observés (parfois de très près) bon nombre de situations, de jour comme de nuit : des lynx tranquillement couchés ou assis au milieu d’un pré, des lynx longeant ou traversant des routes (et parfois des autoroutes), des lynx croisés au détour d’un chemin forestier, des lynx fuyant rapidement un dérangement (chiens, battues), des lynx en action de consommation (chevreuils, micromammifères, blaireau, lièvre…),…et malheureusement aussi des lynx victimes de collisions routières.

Les autres données sont essentiellement  représentées par des empreintes et des voies fraiches dans la boue ou sur la neige, des restes de carcasses de proies avec signature lynx, des clichés et des vidéos pris au piège photographique, des témoignages fiables et crédibles, des feulements.

Lynx boreal, Haut-Doubs, mai 2017 © Kevin Maltese-Crottier

Menaces et conservation

Lynx boréal © Pierre Crouzier

Malgré une situation qui à première vue pourrait laisser penser que le lynx se porte relativement bien en Rhône-Alpes,  il est important de rappeler ici les différentes menaces pouvant affecter l’espèce sur notre territoire et ailleurs.

Tout d’abord, les collisions autoroutières, ferroviaires et surtout routières peuvent représenter un facteur de mortalité conséquent sur une population locale. Citons par exemple le cas de lynx retrouvé morts sur les routes haut-savoyardes, comme à Meillerie en 2013 (une jeune femelle) et à Clarafond-Arcine, au pied du massif du Vuache,  en novembre 2015 (un jeune mâle). Toujours en 2015, Talo (jeune lynx relâché dans le canton de Genève et suivi par collier émetteur) est retrouvé mort sur une route entre Isère et Savoie (gorges du Bréda) après un périple de plusieurs centaines de kilomètres. En 2018, c’est une femelle qui est tuée par un train sur la commune de Tenay, dans le département de l’Ain. Toujours dans l’Ain, en 2019, c’est une femelle gestante qui est retrouvée gravement blessée suite à collision avec un véhicule entre Oyonnax et Thoirette.

Une autre source d’inquiétude est la divagation de très jeunes lynx seuls et désorientés, encore dépendants de leur mère, sur certaines routes du département, comme cette jeune femelle âgée de seulement 2 mois trouvée en aout 2015, errante, dénutrie et désorientée, sur une route de Viry (Haute-Savoie).  Envoyée dans un centre de soin spécialisé sur la faune sauvage (centre Athenas, dans le Jura), cette jeune femelle ne sera malheureusement jamais relâchée en milieu naturel du fait de la persistance de troubles neurologiques. Plus récemment, en 2018, c’est dans un parc horticole près d’Albens (Savoie) qu’un très jeune lynx esseulé est observé en pleine journée. Le dérangement, au sens large, pourrait expliquer en totalité ou en partie l’observation de ces jeunes « en perdition ».

La fragmentation des habitats forestiers par des voies de circulation et des zones urbanisées (à l’instar de bon nombre de vallées alpines) réduit ou empêche les possibilités de dispersion et d’échanges entre individus pourtant nécessaire au brassage génétique entre noyaux de population de lynx. Ceci étant d’autant plus préoccupant qu’il est fort probable que le pool génétique des lynx de notre pays soit de surcroit particulièrement appauvri (pour rappel, les lynx présents sont les descendants de quelques individus réintroduits en France et en Suisse dans les années 1970-80-90)

Enfin, il ne faut pas exclure les actes de braconnage de cette espèce pourtant protégée… On ne peut que regretter ici la (quasi) disparition du lynx des Vosges et la régression très inquiétante du lynx dans le massif jurassien ou, depuis quelques années, plusieurs actes de braconnage fragilisent encore un peu plus une population féline déjà fortement menacée par les collisions à répétition. Pour Rhône-Alpes, citons pour exemple deux jeunes lynx tués par balles à Souclin, dans le département de l’Ain en 2009.

Après de longues années d’inaction ou d’actions trop limitées faute de volonté politique et/ou de moyens suffisants, une prise de conscience notable et la forte mobilisation associative permet aujourd’hui à plusieurs plans d’actions de voir le jour : Programme Lynx Massif des Vosges, mené par le Centre de Recherche et d’Observation sur les Carnivores (CROC) et Plan National de Conservation du Lynx, porté par le WWF et la Société Française d’Etude et de Protection des Mammifères (SFEPM).

De son côté, en 2019, l’Etat lance son Plan National d’Action Lynx, sous le pilotage de la DREAL Bourgogne Franche-Comté.

Les mesures proposées dans ces divers plans d’actions répondent aux grands objectifs suivants : amélioration des connaissances (alimentation, aspect génétique et sanitaire, utilisation de l’habitat) et suivi scientifique, préservation des habitats et des connectivités écologiques, réduction des collisions et amélioration des franchissements routiers et autoroutiers, lutte contre le braconnage, amélioration de la coexistence lynx/activités humaines (élevage ovin, chasse, activités de plein air), collaboration transfrontalière (Suisse, Allemagne), communication et sensibilisation,…

Sans attendre la mise en œuvre de ces plans d’action, les naturalistes rhônalpins ont depuis longtemps œuvré à la connaissance et à la préservation du lynx boréal : recensements et suivis via les indices de présence ou par piégeage photographique, sensibilisation du public par des conférences et des animations, publication d’articles dédiés à l’espèce,… Fort de cette expérience et au vu du contexte géographique, écologique et paysager de notre région, Rhône-Alpes a donc un rôle primordial à jouer dans la préservation et la pérennisation de la population régionale, nationale et transfrontalière du grand félin de nos forêts.

Un pelage propre à chaque lynx

Il est possible d’identifier individuellement chaque lynx d’un territoire donné. La pose de pièges photographiques sur les secteurs de présence du grand félin et à des endroits stratégiques (coulées, proche d’une proie récemment tuée) permet d’obtenir des clichés des flancs  (gauche et droit) des individus, chaque lynx ayant un pattern de taches qui lui est propre. Les clichés ainsi obtenus sont traités par un logiciel permettant de caractériser et comparer les différents patterns. Au-delà de l’individualisation des lynx  et de l’estimation de leurs  effectifs et densités, cette technique  permet en plus de suivre certains animaux lorsque ceux-ci sont rephotographiés  par d’autres pièges au cours de leurs déplacements, parfois sur de grandes distances. Ainsi, un juvénile photographié dans le Jura a pu être rephotographié un an et demi plus tard dans le massif de Chartreuse, à 200 kms de son secteur d’origine !

Lynx boréal, Parc de la Garenne, janvier 2017 ©Nicolas Balverde

Rédacteur : Christophe GILLES, juin 2019