Musaraigne carrelet, Sixt, Haute-Savoie, décembre 2016 © Jean-François Desmet

Présentation et description

Musaraigne carrelet, Sixt, Haute-Savoie, décembre 2016 © Jean-François Desmet

La musaraigne carrelet Sorex araneus fait partie de l’ordre des Insectivores, de la famille des Soricidae, de la  sous famille  Soricinae et du genre Sorex  (musaraignes à pointes des dents rouges).

Son pelage est d’un brun plus ou moins gris, d’aspect parfois « tricolore » : dos sombre, flancs plus clairs et ventre encore plus. Comme les autres musaraignes, elle affectionne les litières et les endroits à forte couverture végétale, et, plus spécialement, les lieux frais et/ou humides.

In natura, elle est impossible à différencier de la musaraigne couronnée Sorex coronatus, sauf par des mesures biométriques délicates (HAUSSER et JAMMOT, 1972) ou des analyses génétiques. En ce qui concerne sa détermination par rapport à la musaraigne du Valais Sorex antinorii, aucune mesure biométrique ne permet pour l’instant de séparer ces deux espèces. Seul le recours à l’ADN permet à ce jour de différencier Sorex araneus  de Sorex antinorii.

Etat des connaissances

Jusqu’aux années 1970, la musaraigne carrelet était, avec la musaraigne pygmée de taille inférieure, la seule du genre Sorex présente partout en France et en Rhône-Alpes. Après la mise en évidence par des tests génétiques et biochimiques que Sorex araneus regroupait en fait deux espèces distinctes (HAUSSER et JAMMOT, 1974), il est apparu que c’était en fait la musaraigne couronnée qui occupait la majeure partie du territoire. La musaraigne carrelet, quant à elle, ne se trouvant qu’en altitude : arc alpin, Haut-Jura, Pyrénées, peut-être Massif Central.

Depuis le sud-ouest, avec le recul des glaciers, la musaraigne carrelet aurait été refoulée par la musaraigne couronnée, l’isolant dans des zones d’altitude plus froides et/ou humides (LUGON-MOULIN 2003, BLANT 2008).

En région Auvergne Rhône-Alpes, les données anciennes (antérieures aux années 1980) des atlas précédents étaient automatiquement attribuées à la musaraigne carrelet. Les connaissances actuelles laissent à penser qu’elles se rapportaient en fait très vraisemblablement,  pour une bonne part, à la musaraigne couronnée, notamment dans les zones de basse ou moyenne altitude. Elles provenaient de pelotes de réjection de rapaces nocturnes, de captures effectuées dans le cadre d’inventaires faunistiques, plus rarement de cadavres collectés. Les données contenues dans diverses publications scientifiques ont également été prises en compte avec les références correspondantes.

C’est dans les années 1970 que HAUSSER et MEYLAN (HAUSSER, 1976, MEYLAN et HAUSSER, 1978) ont montré que Sorex araneus, jusque-là seule connue, était en fait un groupe d’espèces cryptiques comprenant Sorex araneus, Sorex coronatus et Sorex antinorii. En France, et donc en Auvergne Rhône-Alpes, la musaraigne carrelet n’est présente que dans l’arc alpin. Des mentions anciennes dans le Massif Central, n’ont pu être confirmées malgré des recherches effectuées par le Groupe mammalogique d’Auvergne (GMA, CSA, 2015).

La musaraigne carrelet, dans l’arc alpin, pourrait se trouver localement en sympatrie (sur la même aire de répartition) avec la musaraigne couronnée. Sa distribution, notamment altitudinale, reste encore à préciser.

Dans le Jura suisse (massif du Jorat), les études menées (ROSSIER et al, 1993) dans les rares zones de sympatrie, voire de syntopie (sur le même biotope) où la compétition interspécifique est forte entre les deux espèces, on constate que la musaraigne carrelet et la musaraigne couroinnée occupent des micro-habitats différents, influencés par la température, l’exposition, l’humidité, et le pH.

Etat des connaissances de la musaraigne carrelet

Préalablement, précisons qu’en l’état actuel des connaissances, il est impossible de dresser une carte de répartition fiable et complète pour la musaraigne carrelet. Néanmoins, des retours d’études spécifiques réalisées dans certains départements rhônalpins peuvent être cités.

Dans le département du Rhône, des séquences de piégeage destinées à la recherche de la musaraigne carrelet n’ont conduit qu’à des captures de musaraignes couronnées (identifications faites par ADN mitochondrial), y compris à plus de 1000 m dans les monts du Beaujolais ou du Lyonnais (ARIAGNO et al. 2015). Par contre, dans le département de l’Isère, les analyses génétiques, (BRUNET-LECOMTE et NOBLET 2013) ont permis de caractériser la musaraigne carrelet dans le massif de Belledonne (Chamrousse, 1800 m), ainsi qu’en Chartreuse (5 localisations). Les mêmes auteurs ne l’ont par contre pas trouvée dans le massif du Vercors.

Pour les départements savoyards, des recherches conduites dans le Parc National de la Vanoise (BOUCHE et LEMMET, 2004) ont montré que l’espèce y était plutôt rare : un seul site très marécageux, vers 1700 m d’altitude, a fourni des échantillons de musaraigne carrelet (détermination par l’Université de Lausanne : morphométrie crânienne et étude des marqueurs microsatellites).

En Haute-Savoie, rappelons qu’en plus de la musaraigne carrelet et de la musaraigne couronnée, la musaraigne du Valais a été trouvée occupant certains secteurs de la haute vallée de l’Arve, en amont des Houches (LUGON-MOULIN 2003).  Par ailleurs, dans ce département, divers cadavres de Sorex ont été récupérés sur le terrain par J.F.DESMET, principalement dans le Haut-Giffre, et les restes osseux crâniens préparés. Sur la base de mensurations délicates et précises réalisées sur les mandibules et de la méthode d’application d’une formule discriminante (HAUSSER et JAMMOT 1974), il en ressort que 11 échantillons collectés depuis 2007 peuvent être attribués à Sorex araneus/antinorii. Dix de ces échantillons proviennent de localités distinctes situées entre 830 et 2140 m d’altitude dans le Haut-Giffre, le 11ème provient d’une localité à 2000 m d’altitude dans le massif du Bargy.

En outre, certains restes de tissus de ces échantillons sont conservés en vue d’une possible analyse génétique (encore non réalisée à ce jour) visant à préciser encore ces déterminations, entre la musaraigne carrelet  et la musaraigne du Valais. En effet, le Haut-Giffre est limitrophe à l’est avec la Suisse où la présence de la musaraigne du Valais est avérée. Aussi, n’est-il pas impossible que certains de ces cadavres (en particulier ceux collectés le plus à l’est) attribués pour l’instant au duo Sorex araneus/Sorex antinorii correspondent en fait à cette dernière espèce. De nouvelles investigations côté haut savoyard, mais à proximité de la frontière franco-suisse, sont prévues prochainement afin de rechercher plus précisément cette dernière.

A signaler encore, qu’en Haute-Savoie également, plusieurs données d’altitude de Sorex pourraient être d’authentiques musaraignes carrelet (Megève, 1636 m d’altitude ;  Chapelle d’Abondance, 1935 m, Arrâches-les-Frasses, 1842 m ;  Morzine, 1640 m ; Chamonix-Mont Blanc, 1980 m…). Mais en l’absence de tests ADN ou biométriques on ne peut rien affirmer.

Il en est de même pour quelques données d’altitude supérieure à 1500m, provenant du département de l’Ain (Thoiry, Mijoux).

 

Musaraigne carrelet, Sixt, Haute-Savoie, décembre 2016 © Jean-François Desmet

Menaces et conservation

Musaraigne carrelet, Sixt, Haute-Savoie, décembre 2016 © Jean-François Desmet

S’il n’y a pas de menaces spécifiques identifiées pour la musaraigne carrelet, l’artificialisation des milieux et les défrichements constituent un fonds de menaces commun à beaucoup d’espèces mammaliennes. Les fortes chaleurs et la sécheresse que pourrait induire un changement climatique, ainsi qu’une possible compétition avec la musaraigne musette lui seraient d’autant  plus défavorables  en Auvergne Rhône-Alpes, qu’elle occupe déjà des habitats résiduels ou des zones-refuge d’altitude.

Comme beaucoup de petits mammifères, la musaraigne carrelet subit une pression de prédation de la part des rapaces  (effraie des clochers, entre autres) et des carnivores.

Si la musaraigne carrelet  parait ne pas nécessiter de mesures de protection particulière, elle a, comme l’ensemble des Soricidés,  un besoin  urgent de recherches et d’études complémentaires. En particulier des analyses génétiques systématiques sont nécessaires sur chaque individu collecté afin d’avoir une vision précise de sa distribution alpine et préalpine (limites altitudinales par exemple) et même de sa distribution tout court dans les zones de contact avec la musaraigne couronnée.

 

Rédacteurs: Daniel Ariagno, Jean-François Desmet et  Julien Bouniol, septembre 2019