Musaraigne pygmée, Erwann THEPAULT

Présentation et description

Musaraigne pygmée, juillet 2007, Wikimédia-libre de droit

La musaraigne pygmée est le plus petit représentant rhônalpin des Sorex et, plus largement,  des musaraignes à dent rouges. C’est le deuxième plus petit mammifère de France juste après la musaraigne étrusque.

Elle ressemble à la musaraigne couronnée Sorex coronatus et à la musaraigne carrelet Sorex araneus avec qui elle partage des milieux de vie assez proches. Encore plus que ces deux espèces, elle apprécie les zones humides pour  lesquelles elle dispose de certaines particularités anatomiques (grands orteils et dents aiguisées) lui permettant de chasser plus efficacement dans les zones marécageuses.

C’est toutefois sa petite taille et son faible poids qui font la distinction avec les autres espèces de musaraignes à dents rouges. L’adulte ne pèse qu’entre 3 et 6 grammes et la longueur du corps varie entre 36 et 69 mm (HUTTERER, 1990). De jeunes individus de Sorex araneus/coronatus risquent toutefois d’être confondus avec Sorex minutus à la simple vue de leur petite taille. Le pelage de la musaraigne pygmée  est gris-brun sur le dos et plus clair sur les flancs avec des variations sur le ventre pouvant aller du blanc-gris au blanc-jaune. La pilosité de la queue est bien développée et celle-ci apparait souvent très nettement épaisse.

Tout comme les autres Sorex, la musaraigne pygmée dispose d’un métabolisme très élevé avec de nombreuses périodes d’activités quotidiennes qui l’amènent  à consommer jusqu’à 92 % de son poids en une journée (HUTERRER, 1974). Comme pour les autres Sorex le phénomène de Dehnel est observé, se traduisant par une baisse de poids et de taille de l’ordre de 6 à 12%  en hiver (Hyvärinen, 1994) mais aussi par un rétrécissement de la boite crânienne. Il est à noter qu’à la différence des autres musaraignes, Sorex minutus consomme peu de vers de terre mais dispose d’un régime varié et opportuniste principalement composé d’arthropodes et de myriapodes (CASTIÉN  et GOSÁLBEZ, 1999).

La musaraigne pygmée est principalement observée dans les milieux frais et humides. On la retrouve ainsi dans les zones de marais, les tourbières, mais aussi les zones forestières peu exposées ou autres secteurs frais et ombragés. Les caractéristiques des milieux où elle n’est pas ou peu observée apportent également des précisions sur ses exigences écologiques. En plus des secteurs thermophiles, l’espèce semble également absente des grandes cultures, des zones urbaines et même plus largement des zones rudérales. Il semble donc qu’au-delà de la fraicheur qu’elle affectionne, la musaraigne pygmée recherche les habitats peu anthropisés avec une couverture végétale en général assez dense.

Etat des connaissances

L’espèce est présente en Eurasie,  du Portugal au lac Baïkal (MITCHELL-JONES, et all., 1999), mais reste absente des zones de climat méditerranéen où son habitat de prédilection est absent et les températures estivales dépassent ses exigences.

La musaraigne pygmée serait mentionnée en Suisse dès 1836 alors que les premières observations en Rhône-Alpes datent de 1970.

Dans l’atlas des mammifères d’Auvergne, elle est considérée globalement commune en Auvergne mais avec des disparités locales.

Carte de l'état des connaissances sur la musaraigne pygmée

En Rhône-Alpes, les données sont assez rares mais il semble que l’espèce soit présente en faibles effectifs dans tous les grands districts biogéographiques à l’exception des zones de la vallée du Rhône au sud de Montélimar.

Si son mode de vie dans la litière et les hautes herbes en fait une proie difficile pour les rapaces, la comparaison des pourcentages de captures fournit certaines indications sur sa répartition et ses habitats de prédilection. Les observations sont réalisées jusqu’à 2600 m, mais  elles sont les plus fréquentes entre 300 et 500 m où la musaraigne pygmée est notée dans 45 % des observations.  Ceci traduit une bonne présence de l’espèce dans les zones de collines composées de zones forestières avec des réseaux de zones humides. Elle est aussi bien présente à l’étage sub-montagnard entre 500 et 1000 m (35 % des observations).

Dans le département du Rhône, la musaraigne pygmée est observée dans 0,25 % des proies capturées dans les Monts du Lyonnais (1280 proies) et dans  0,43 % des proies des Monts du Beaujolais (460 proies),  mais semble totalement absente de l’agglomération lyonnaise (600 proies) confirmant ainsi une préférence pour les zones collinéennes de bocage  frais vis à vis des zones plus thermophiles et urbanisées.

En Isère,  BRUNET LECOMTE et NOBLET la notent dans 2,1 % des proies en Chartreuse, contre 3 % en Belledone, indiquant ainsi une préférence pour les milieux frais et forestiers par rapport aux plateaux calcaires plus chauds et secs. La musaraigne pygmée  est également observée dans les Terres froides, en Chartreuse, dans le Trièves et la vallée de l’Arc.

Dans le département de la Loire, l’espèce semble peu présente dans la vallée de la Loire et est surtout observée dans les massifs du Lyonnais, du Forez ou du Pilat.

Dans l’Ain, la musaraigne pygmée est observée de façon assez hétérogène dans tout le département, mais sa présence sur le plateau dombiste reste à confirmer. Sur 500 proies recensées sur 4 sites dombistes, l’espèce apparait 5 fois, uniquement en périphérie du plateau dans une zone de forêts et d’étangs (DALLAPORTA et TOUZE, 2012).

En Savoie et Haute Savoie, la musaraigne pygmée est surtout observée dans les vallées et les zones de plaine (vallée de l’Arve, Genevois, lac du Bourget, lac d’Annecy…). En Haute-Savoie, dans le Haut-Giffre, des données sont régulièrement collectées par J.F.DESMET. Elles proviennent d’au moins une douzaine de localités, du fond de la vallée (640m) jusqu’à au moins 2080 m d’altitude, dans une large variété de milieux : agglomérations, abords d’habitations, bocages, jardins, forêts montagnardes ou subalpines, prairies subalpines plus ou moins arborées et jusque dans des pelouses alpines …. L’espèce a également été notée dans la Réserve Naturelle des Contamines-Montjoie, à 1600 m et 2050 m. (DESMET com. pers.). Toutefois, les données très éparses en milieux montagnard ne permettent pas de tirer de conclusions plus précises sur la présence de l’espèce dans les massifs nord Alpins.

En Drôme et Ardèche, les observations sont aussi assez rares. Elles semblent traduire une absence de l’espèce dans les zones méridionales (sud de la vallée du Rhône, Baronnies) malgré une observation dans le sud Ardèche qui pourrait laisser penser que l’espèce reste présente dans les fonds de vallons humides et végétalisés.

Menaces et conservation

Musaraigne pygmée, Erwann THEPAULT

La musaraigne pygmée semble mal résister à l’artificialisation des milieux, à l’intensification des pratiques agricoles et à l’urbanisation.

Sur l’analyse de 18 250 proies entre 1998 et 2008 dans le département du Rhône, 218 Sorex minutus sont identifiées (soit 1,19 % des proies) alors que sur les 2340 proies identifiées entre 2008 et 2014 lors des travaux d’identifications des restes osseux contenus dans les pelotes de réjection de rapaces conduits par la FRAPNA Rhône, l’espèce est identifiée seulement 5 fois (0,21 % des proies) sans différence notable dans la provenance des pelotes analysées.

Si son statut reste difficile à évaluer en raison du faible nombre de données récoltées récemment (environ 200 observations en Rhône Alpes entre 2008 et 2018), on peut supposer que la musaraigne pygmée pâtit assez lourdement  de l’artificialisation des milieux. Les drainages de zones humides, la mise en culture des zones de prairie, le recalibrage des berges des cours d’eau ainsi que l’urbanisation détruisent les milieux de vie de cette musaraigne. Si l’on ajoute les effets des changements climatiques entrainant une baisse des nappes et des assèchements de plus en plus réguliers des habitats humides en période estivale, on peut supposer que les milieux de vie de cette musaraigne subissent actuellement une nette régression.

 

Les relations entre la musaraigne pygmée et les autres Sorex

La musaraigne pygmée évite les autres Sorex et cherche peu les rencontres entre individus de la même espèce qui n’ont lieu qu’entre la mère et les jeunes et entre mâle et femelle durant une période de reproduction assez  brève, traduisant un comportement peu sociable.

Lorsque des musaraignes pygmées sont placés dans une cage avec des musaraignes carrelets, LUGON-MOULIN décrit des comportements fuyant ou une immobilisation, les combats entre individus restant très rares. Les différentes observations démontrent que les grandes Sorex partagent en effet assez souvent leur territoire avec Sorex minutus  et ne cherchent pas à les évincer peut être en raison de leur petite taille peu menaçante mais aussi de leurs spectres alimentaire assez différents.

 

 

Julien BOUNIOL, novembre 2019