Ragondin, Bresse, janvier 2016 ©Julien Arbez

Présentation et description

Ragondins adulte et jeune ©Christophe Gilles

Rongeur aquatique de grande taille ( jusqu’à 10 kg) mesurant environ 1 mètre (dont 40 cm de queue), le ragondin (aussi appelé lièvre des marais, myopotame, myocastor ou castor du Chili) peut être confondu avec le castor (Castor fiber) ou, lorsqu’il s’agit de jeunes individus, avec le rat musqué (Ondatra zibethicus). Le meilleur critère distinctif est la section de la queue, cylindrique chez le ragondin alors qu’elle est aplatie latéralement chez le rat musqué et très large et aplatie chez le castor. Lorsqu’il nage, la tête et le dos du ragondin émergent séparément. C’est aussi le plus diurne des mammifères aquatiques, souvent actif en pleine journée bien que plus volontiers crépusculaire.

Dans son aire d’origine, l’Amérique du Sud, trois à cinq sous-espèces ont été décrites. Les animaux initialement importés en Europe semblent appartenir à trois de ces sous-espèces: Myocastor coypus coypus (Chili), M. c. bonariensis (nord de l’Argentine) et M. c. santa-crusae (côtes sud de l’Argentine). A la suite de multiples croisements, il est actuellement difficile -voire impossible- de déterminer l’origine génétique précise des animaux présents sur notre continent (ROSOUX in SFEPM, 1984).

L’UICN considère l’espèce comme l’une des cent les plus invasives dans le monde (LOWE et al. 2000).

L’Arrêté Ministériel du 30 septembre 1988 classe le ragondin parmi les espèces susceptibles d’être déclarées nuisibles dans un département par le Préfet et, depuis l’Arrêté Ministériel du 3 avril 2012, cet animal est classé nuisible sur tout le territoire français : il peut donc être détruit toute l’année par piègeage, tir ou déterrage.

Les lacs, les étangs, les cours d’eau lents et riches en herbiers immergés et sur leurs rives constituent l’habitat optimal du ragondin, cette espèce se nourrissant d’une grande variété de plantes aquatiques et palustres. Ces animaux peuvent démontrer d’importantes facultés d’adaptation. En hiver, lorsque ces ressources ne sont pas accessibles, l’écorce de jeunes arbres des ripisylves peut être occasionnellement consommée. Les prairies situées près de l’eau sont fréquemment occupées. Les cultures sont également recherchées, notamment lorsque le gel interdit l’accès à la végétation aquatique, le plus souvent entre septembre et mars. Les crucifères, particulièrement la moutarde et le colza, les céréales d’hiver sont les plus recherchées mais le maïs en grains semble également attractif, au moins pour quelques individus spécialisés. Occasionnellement, l’espèce peut grimper à faible hauteur dans des arbres en partie immergés comme elle peut consommer des moules d’eau douce.

L’assèchement estival des cours d’eau comme le gel des étangs ou des lacs peuvent inciter les ragondins à prospecter des milieux terrestres jusqu’à plus d’un kilomètre du milieu aquatique. Ces déplacements terrestres expliquent peut-être la colonisation de certains bassins de décantation ou retenues collinaires. Ces déplacements expliquent probablement la phénologie des collisions routières.

Les terriers sont creusés dans les rives encaissées des cours d’eau, des lacs ou les digues des étangs et fragilisent celles-ci, causant fréquemment des fuites engendrant des réparations coûteuses.

Dans l’Ain, la saison de reproduction couvre pratiquement toute l’année, sans pic marqué mais avec de nets creux en mars et en octobre. Toujours dans ce département, les 42 familles dénombrées (liste arrêtée au 15 novembre 2017) comptaient en moyenne 3, 071 jeunes (1 à 6). Curieusement, les individus au pelage leucique sont extrêmement rares puisqu’un animal à Versailleux (Dombes-Ain) les 10 et 11 novembre 2012 constitue la seule mention rhônalpine. Par contre, les ragondins véritablement albinos sont globalement nombreux, avec probablement le plus fort pourcentage dans la faune vertébrée sauvage. De tels individus ont été signalés dans les départements de l’Ain, de l’Ardèche, de la Drôme, de l’Isère et du Rhône.

Etat des connaissances

Historique

L’espèce a été introduite initialement en France en 1882 (MACDONALD & BARRETT, 1995) dans des élevages pour la pelleterie et, par la suite, pour la chasse ou le faucardage des étangs. Des mentions ont été effectuées dans le nord de Rhône-Alpes dès les années 1960.

Bassin du Rhône
En 1968, un ragondin est tué au marais de Culoz (01) alors que, dans le courant des années 1970, plusieurs sont signalés sur la rive gauche du Rhône au marais des Avenières (38), la succession d’hivers doux semblant avoir permis le maintien et la reproduction des individus (FAYARD et al. 1979).
Ces mentions semblent se rapporter à des individus s’étant naturalisés.
Une tout autre origine concerne probablement la vallée du Rhône. Déjà, l’espèce avait été mentionnée en 1970 à l’Île au Beurre, à la limite sud du département du Rhône.
L’examen de la carte publiée dans l’atlas national de 1984 (SFEPM, op. cit.) suggère clairement que la colonisation d’une grande partie de Rhône-Alpes dans les trois dernières décennies du vingtième siècle s’est effectuée par cette vallée depuis la Camargue. Le sillon rhodanien est alors occupé uniformément de Donzère (26) jusqu’à Condrieu (69) puis de Lyon (69) à Lagnieu (01), bien plus sporadiquement jusqu’à Seyssel (01-74). Profitant peut-être de cette origine rhodanienne, via le Guiers ou l’Isère, des observations sont mentionnées en Savoie jusque dans la région de Montmélian alors que le Fier et le Chéran pourraient avoir été remontés pour expliquer les quelques mentions haut-savoyardes. Le nord de l’Isère, particulièrement l’Isle-Crémieu, est alors déjà bien peuplé ce qui pourrait indiquer le développement des populations introduites évoquées précédemment.
Dans les années 1980, l’espèce était bien répandue dans tout le secteur de Miribel-Jonage (01-69). Il se pourrait que plusieurs vagues de froid hivernal aient fortement réduit cette première phase d’expansion régionale. Une seconde phase de colonisation s’est produite à partir du début des années 1990 et se trouve à l’origine des peuplements actuels, l’espèce ayant colonisé ces dernières décennies une grande partie du territoire national, Corse exceptée.

En Ardèche, l’espèce est alors apparue dans la moyenne vallée de la rivière éponyme et la partie basse du Chassezac (LADET, comm. pers.).
Dans le Rhône, l’ensemble des zones humides a été colonisé progressivement.
Dans l’Ain, l’espèce s’est aussi implantée par le sud-ouest, en remontant le cours du Rhône puis la basse-vallée de l’Ain. C’est probablement soit par des affluents du Rhône (par exemple la Sereine) soit par ceux de l’Ain (dont le Toison) que la Dombes a été occupée à partir du milieu des années 1990. Ce fut alors le déclencheur de l’explosion des effectifs et la colonisation de toutes les zones humides de l’ouest du département.
La Haute-Savoie n’a été ré-occupée que récemment, au tout début de 2006 dans le secteur de Motz, profitant apparemment d’une revégétalisation du site. La première reproduction y a été observée en 2009. De là, l’espèce remonte progressivement le cours des Usses. La limite septentrionale du cours français du Rhône, a été atteinte en 2017.
En 2017, la limite septentrionale du cours français du Rhône a été atteinte à hauteur de l’Etournel (entre l’Ain et la Haute-Savoie).

Bassin de la Loire
Le ragondin aurait été présent dès les années 1960 dans le département de l’Allier puis dans les années 1970 en Bourgogne. L’atlas de 1984 (SFEPM, op. cit.) fait apparaître que ce bassin ligérien est occupé densément jusqu’aux portes du département de la Loire où seule la plaine du Roannais est occupée avec une première mention remontant à 1983 (AULAGNIER et al. 1983), cette donnée n’étant pas mentionnée dans l’atlas. L’origine de ces animaux est inconnue mais il faut noter qu’un élevage était alors en activité dans cette région.
Tout le cours de la Loire est désormais occupé; la plaine du Forez a été touchée en 1993 avec une première reproduction dès 1994. Dans le département de la Loire, l’espèce occupe même divers milieux aquatiques plus en altitude.

carte de l'état des connaissances sur le ragondin

Distribution actuelle

Actuellement, le ragondin est présent sur de nombreux cous d’eau lents et zones humides de basses altitudes de Rhône-Alpes directement connectés à la Loire et au Rhône.

Les milieux les plus favorables en Rhône-Alpes peuvent retenir de belles concentrations locales : 29 individus sur un étang à Joyeux (Dombes-Ain) le 3 novembre 2016 et même 39 à la Roche-de-Glun (Drôme) en octobre 2016.

Cela exclut les zones alpines de Savoie, Haute-Savoie, d’Isère et de la Drôme, ainsi que la frange est du massif central, comprenant les monts du Forez, la partie cévenoles du département de l’Ardèche et le sud du massif jurassien du département de l’Ain

Les cours d’eau de montagne ayant souvent un cours rapide et accidenté et s’avérant de surcroît peu riches en végétation constituent un frein à l’extension de l’espèce. De fait, les altitudes atteintes restent faibles. Néanmoins, elles peuvent être occasionnellement plus élevé dans la Loire, ou elle atteint ses records d’altitudes.

367 m à Germagnat (Ain), 409 m au lac des Collanges (Ardèche), 498 m à Saint-Roman (Drôme), 610 m à Marnans (Isère), 720 m au lac du Ronzey à Yzeron (Rhône). Elles peuvent être occasionnellement plus élevées dans la Loire : 912 m à Estavareilles en 2017, 916 m au barrage du Sapt à Saint-Genest-Malifaux en 2009 et même 1113 m. sur le bassin de décantation du Bessat (Pilat) en 2017.

Impact et gestion

Ragondin, lac du Bourget, juin 2015 © Dominique Robin

L’espèce est connue pour être un réservoir potentiel de la grande douve du foie (Fasciola hepatica) et pour participer à la transmission de deux zoonoses: la tularémie et la leptospirose (VEIN, 2013). En Dombes, région d’étangs peu profonds, l’apparition en nombre de ce rongeur a entraîné une recrudescence des cas de leptospirose, auparavant peu fréquente malgré la forte présence du surmulot (rattus norvegicus). Cette maladie est véhiculée par l’urine des rongeurs. Sans être fréquents, plusieurs cas humains de cette maladie ont été recensés localement. Les personnes fréquentant ces milieux doivent donc se protéger et éviter le contact direct avec l’eau, particulièrement en cas de blessures.

L’apparition en nombre du ragondin dans le département de l’Ain a entraîné la grande raréfaction ( en Dombes) voire la quasi disparition (dans la basse vallée de l’Ain) du rat musqué, autre espèce introduite en Europe. Ce dernier semble perdre la compétition alimentaire qui l’oppose au ragondin, plus lourd et aux besoins bien supérieurs.
Par contre, des régimes alimentaires différents permettent une bonne cohabitation avec le castor.
En Dombes, l’appétit de milliers de ragondins conjugué à celui de plus d’un millier de cygnes tuberculés (Cygnus olor) contribue probablement pour une part non négligeable à la raréfaction des herbiers aquatiques et des roselières, indispensables pour le maintien de la biodiversité et d’une pisciculture naturelle. Il est toutefois impossible d’en préciser l’impact réel, d’autant plus que la qualité de l’eau mise à mal par les intrants agricoles a aussi sa part de responsabilité dans cette diminution. Dans la plaine du Forez, la régression des roselières a d’ailleurs commencé avant l’arrivée du ragondin.
En dehors du piégeage et du tir par l’homme, les ragondins n’ont que peu de prédateurs dans notre région et cette prédation ne peut pas contribuer à réduire significativement les populations. Dans l’Ain, des cas de prédation de jeunes individus par des putois (Mustela putorius) et des fouines (Martes foina) ont été signalés. Des silures glanes (Silurus glanis) de grande taille semblent également en mesure de s’attaquer à des jeunes ragondins et pourraient être à l’origine de la présence somme toute modeste de l’espèce sur le cours de la Saône. Le renard (Vulpes vulpes) est un prédateur plus régulier mais hésite toutefois à s’attaquer à des individus adultes. Ces derniers sont d’ailleurs particulièrement craints des propriétaires de chiens car les affrontements entre les deux espèces ne finissent pas systématiquement en faveur des canidés, les blessures infligées par les longues et puissantes incisives du rongeur s’avérant parfois mortelles.

Il est permis de relier l’expansion récente du ragondin, espèce d’origine néo-tropicale, au réchauffement climatique. Hainard écrivait en 1988 que cet animal «résiste mal aux hivers rigoureux». Il est probable que l’échec de l’implantation générale du ragondin avant 1990 dans notre région soit lié à ces conditions climatiques rigoureuses alors fréquentes. Actuellement, les hivers s’avèrent relativement doux et les vagues de froid intense sont généralement courtes, permettant aux ragondins de subsister malgré tout , même à des altitudes jusqu’alors non-atteintes, et d’avoir une période de reproduction quasi ininterrompue. Un hiver rigoureux viendra peut-être rebattre les cartes pour cette l’espèce qui bénéficie actuellement d’un contexte climatique très favorable.

En dehors du tir (fusil, carabine de petits calibres, arc) somme toute assez peu utilisé, le piégeage au moyen de nasses terrestres est le moyen le plus efficace pour capturer l’espèce. Ce type de piège devrait être le seul autorisé car il permet de relâcher vivants les animaux d’autres espèces (jusqu’à la taille du héron cendré (Ardea cinerea) capturés accidentellement. Par contre, l’emploi de pièges létaux et non sélectifs qui n’est actuellement prohibé que sur le territoire des communes occupées par le castor (Castor fiber) et/ou la loutre (Lutra lutra) devrait être interdit partout.

Le piégeage dans l’Ain

En 1996, seuls 432 individus ont été piégés dans ce département. Depuis le nombre de prises a pratiquement doublé chaque année (872 en 1997, 1816 en 1998, …) jusqu’en 2000 pour atteindre 27326 animaux en 2009 soit un effectif multiplié par 62 en 13 ans! Ensuite, un certain relâchement a été noté dans l’effort de piégeage mais celui-ci a été relancé récemment par l’augmentation de la prime à la queue (de 2 à 3 euros) accordée par le Conseil départemental. A titre d’anecdote, remarquons que des (rares) piégeurs dombistes, croyant que la queue des ragondins repoussait après avoir été coupée, les relâchaient vivants après leur caudectomie, espérant encaisser la prime une seconde fois!

Ragondin, Bresse, janvier 2016 ©Julien Arbez

Rédacteurs : Alain BERNARD et André ULMER, décembre 2017