Lièvre variable, Finlande, mai 2016 © Bernard Frachet

Présentation et description

Lièvre variable, Parc National des Ecrins © Robert Chevalier

Le lièvre variable est aussi appelé blanchon, lièvre des neiges, lièvre changeant ou blanchot en Savoie, mais aussi counil ou couennoud en Suisse (du vieux français conil et du latin cunniculus, le lapin). Et en effet, ce lièvre, trapu avec des oreilles plus courtes que celles de son cousin européen, ressemble plus à un gros lapin (2,5 à 3,0 kg pour un adulte). Sa coloration blanche en hiver permet de le reconnaître à coup sûr et en été, l’absence de noir sur sa queue grise le distingue des autres lièvres. Les mâles sont plus petits que les femelles (poids moyens de 2,4 kg pour les mâles et 2,7 kg pour les femelles (BOUCHE 1989).

17 sous-espèces de lièvre variable sont décrites dans le paléarctique, dont 4 en Europe occidentale (DE JONG et al. 2014). Ces dernières sous-espèces sont isolées les unes des autres depuis les glaciations du quaternaire (HOFFMANN et SMITH, 2005, MELO-FERREIRA et al. 2007) : on retrouve donc L.t. timidus en Scandinavie, L.t. scoticus en Ecosse, L.t. varronis dans les Alpes et L. t. hibernicus en Irlande. Génétiquement, les populations scandinaves et alpines sont plus proches et leur séparation est sans doute plus récente (HAMILL et al. 2006). Il existe d’autres espèces de lièvre variable en Amérique du nord : L. othus et L. arcticus sont proches de L. timidus (SCHAI-BRAUN & HACKLANDER 2016), alors que le lièvre à raquettes (L. americanus) ne présente, avec le changement de couleur, qu’un phénomène de convergence écologique.

En région Rhône-Alpes, l’espèce est autochtone et bien présente dans les massifs montagneux. C’est une espèce gibier réglementée (par le biais des plans de gestion cynégétique) dont la chasse est autorisée en France. Son classement en liste rouge est LC (préoccupation mineure Listes rouges monde 2008 et Europe 2007) et NT (quasi menacée Liste rouge France 2017). Son classement est vulnérable dans la liste rouge 2008 en Rhône-Alpes (DE THIERSANT & DELIRY, 2008). Il est aussi inscrit en annexe V de la directive Faune Flore Habitats et en annexe III de la convention de Berne.

Le lièvre variable est nocturne. Il n’est pas territorial et partage son espace avec des congénères ainsi qu’avec le lièvre d’Europe. Il semble assez fidèle à son espace vital d’une année sur l’autre. Dans les Alpes et en hiver, son domaine est en moyenne de 50 à 100 hectares mais peut atteindre plus de 200 hectares. La longueur des déplacements quotidiens est en moyenne de 1600 à 2000 mètres mais peut dépasser 4 kilomètres. L’amplitude altitudinale de ces mêmes déplacements, en moyenne de 350 mètres, peut atteindre plus de 1000 mètres (BOUCHE et al. 2017). Il se reproduit dès la fin de l’hiver et les femelles ont 2 ou 3 portées (SCHAI-BRAUN et al. 2017) de 3 à 4 levrauts nidifuges et à croissance rapide (PEHRSON & LINDLOF, 1984). Cette reproduction avec une économie de production et une croissance rapide permet une bonne adaptation à la montagne et plus généralement aux aléas météorologiques. Le lièvre variable peut se reproduire dès sa première année dans les Alpes (BOUCHE, 1989). Il peut s’hybrider avec le lièvre d’Europe et produire des hybrides fertiles, mais des études récentes montrent que dans les Alpes le phénomène est marginal avec moins de 0,5 % d’hybrides de première génération (BEUGIN et al. 2017, BOUCHE et al. 2017, LETTY et al. 2017).

Il est très opportuniste pour se nourrir, se contentant en hiver de l’herbe sèche des croupes ventées ou des arbustes dépassant de la neige. Grâce à son comportement cécotrophe (Il consomme de jour, des excréments produits par des caecums très développés, ce qui lui permet en particulier de mieux digérer la cellulose), il digère écorces et rameaux. Il est capable, grâce à ses incisives puissantes, de couper et de consommer un rameau de rosier de presque un centimètre de diamètre. Ses capacités alimentaires sont adaptées aux milieux boréaux, alpins et arctiques. C’est un gourmet qui préfère les saules et les rosiers en hiver, les graminées et les légumineuses en été (BOUCHE, 1989). Avec des taux de survie de l’ordre de 0,5 (probabilité de survivre jusqu’à l’année suivante) le lièvre variable atteint une longévité maximale de 6 à 7 ans (8 ans en captivité) et une espérance de vie inférieure à 2 ans (BOUCHE et al. 2017).

La dynamique de population du lièvre variable est encore mal connue dans les Alpes. Les taux de reproduction, sans doute assez variables d’une année à l’autre, ne sont pas connus. Cependant, dans les Hautes-Alpes, le pourcentage de jeunes dans les tableaux de chasse atteignait 46 % (BOUCHE  1989). Le sex-ratio est équilibré sur les sites étudiés à ce jour en Rhône Alpes. Les principaux prédateurs du lièvre variable sont l’aigle royal, le grand-duc d’Europe, la martre, le renard roux et l’hermine.

Des études récentes (BOUCHE 2017, REHNUS 2016, BESNARD et al. 2016) font état de densités oscillant, suivant les sites, de 1 a 4 animaux pour 100 ha, et les effectifs des populations suivies ces 5 dernières années sont assez stables d’une année sur l’autre.

Etat des connaissances

La répartition du lièvre variable est liée à son histoire arctico-alpine. Cette espèce apparue en marge des glaciers, a suivi leur retrait vers le nord du paléarctique et en altitude à la fin des glaciations du quaternaire (HOFFMANN & SMITH, 2005,  MELO-FERREIRA et al. 2007). Les Alpes, l’Irlande, l’Écosse, Sakhaline, Hokkaido et les îles Kouriles constituent des populations isolées de cette aire de répartition principale. Le lièvre variable est présent dans l’ensemble des pays de l’arc alpin (Allemagne, Autriche, France, Italie, Liechtenstein, Slovénie, Suisse).

D’après les données issues de divers établissements publics, administrations, associations, collectées par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (MNHN), le lièvre variable est présent dans tous les départements alpins. On le retrouve de nos jours uniquement dans les massifs montagneux des Alpes, du Chablais au Mercantour, et jusqu’au Vercors. Il est présent dès 800 m d’altitude, mais c’est le plus souvent entre 1400 et 2800 m que se situe la majorité des observations. Dans la région Provence – Alpes – Côte d’Azur, l’observation la plus haute à été réalisée à Pelvoux (05) à 3060 mètres (BOUCHE, 2016). Ce dernier s’étend en Rhône-Alpes de 800 à plus de 3000 m d’altitude avec des extrêmes à moins de 800 m et à plus de 4500 m d’altitude dans le massif du Mont Blanc (R. CHEVALLIER, com. pers.). En Savoie, le lièvre d’Europe peut être observé localement à plus de 2000 m et jusqu’à 2400 m. Une attention particulière quant au risque de confusion lors d’observation d’indices (crottes ou traces) est donc de mise.

Son aire de répartition est aussi partiellement déterminée par la latitude. Alors que sa présence y est avérée au paléolithique (COSTAMAGNO et al. 2009), l’espèce n’est plus présente de nos jours dans les Pyrénées.

Carte de l'état des connaissances sur le lièvre variable

La carte de distribution régionale présentée ici met en évidence une répartition strictement alpine, centrée sur 4 départements : Drôme,  Isère, Savoie et Haute-Savoie. Le lièvre variable est approximativement présent sur 8800 km2 soit 20 % de Rhône-Alpes. Dans les 4 départements où l’espèce est présente, sa répartition estimée représente 36 % de la superficie cumulée de ces quatre départements. Ce sont les deux départements savoyards qui fournissent le plus de données. En Savoie, l’espèce est présente dans plus d’une maille sur deux et en Haute-Savoie, le lièvre variable est présent dans presque les deux tiers du département. La situation est bien différente en Isère et en Drôme. En Isère, la proportion dépasse à peine le quart du département, correspondant à la proportion de massifs montagneux de celui-ci. En Drôme, sa présence est inférieure à 10 % et sa limite occidentale est donnée par la terminaison nord-ouest du Vercors. L’existence du lièvre variable est donc avérée dans les massifs montagneux de l’Isère, de la Savoie, de la Haute Savoie et, dans une moindre mesure, de la Drôme. L’absence du lièvre variable en Chartreuse est attestée en 2012 suite à l’analyse génétique d’un échantillon de crottes (BAILLY 2016). La présence d’hybrides est également exclue. COUTURIER (1965) et SIBUT (1990) relatent les dernières observations documentées. Au début de la décennie, sa présence restait précaire dans les Bauges et dans le sud du Vercors (FDC26 com. pers, BUFFET et al. 2011). Est-il encore présent en 2018 dans les Bauges ?

A l’échelle de son aire de répartition, le lièvre variable fréquente surtout les milieux de toundra, les pelouses alpines et les forêts ouvertes composées de conifères, de bouleaux, de saules et de genévriers. Mais on peut le trouver aussi dans les landes et les tourbières, voire dans les zones de bosquets en bordure de steppes et de roselières autour des lacs. Dans les Alpes, le lièvre variable est assez ubiquiste. Quelle que soit la saison, on peut le trouver aussi bien en forêt que dans des milieux très ouverts d’altitude, pourvu que les pentes ne soient pas trop raides et l’alimentation disponible. Le seul élément lié à sa présence est l’existence d’abris (arbres ou blocs) qui lui assurent gîte et refuge (BOUCHE 1989, GAMBONI 1997, SLOTTA-BACHMAYR 1998, NODARI 2006, BISI et al. 2013, REHNUS et al. 2016). Une étude récente (REHNUS et al. 2017) basée sur les modèles de niche montre l’importance de la température au cours de la saison de reproduction dans la répartition de l’espèce.

Lièvre variable, Parc National des Ecrins © Robert Chevalier

Menaces et conservation

Lièvre variable, Parc National des Ecrins © Pascal Saulay

Arctico-alpin, le lièvre variable pourrait être menacé, dans un contexte de réchauffement climatique, par la réduction de son espace vital. Toutefois, on sait que le lièvre variable est capable de s’acclimater comme le montrent les populations irlandaises et celles des îles Féroé. De même, le risque d’introgression (transmission de gènes entre 2 espèces par le biais d’hybridations successives qui peut conduire à la disparition de l’une des deux) avec le lièvre d’Europe paraît faible et ne semble pas constituer la menace principale, d’autres facteurs pouvant probablement jouer un rôle plus déterminant (changement climatique, réduction de l’habitat favorable, exposition plus forte à la prédation due à un décalage entre périodes de mue hivernale et d’enneigement, compétition accrue avec le lièvre d’Europe). À plus court terme, le dérangement lié aux activités de loisirs en montagne (comme le ski) pourrait aussi affecter la physiologie du lièvre variable en accroissant ses besoins énergétiques en hiver (REHNUS et al. 2014). Il est difficile de prédire la tendance d’évolution des populations du fait du manque de données précises. Toutefois, dans un contexte de réchauffement climatique et d’évolution connexe des habitats, on pourrait s’attendre à une régression progressive de l’espèce, numérique et / ou spatiale, qui pourrait être pour partie due à la compétition spatiale et démographique avec le lièvre d’Europe.

La population alpine de lièvre variable est constituée de nombreuses sous-populations isolées dont chacune peut avoir sa propre dynamique. Sur la seule population suivie numériquement depuis 5 ans, les effectifs semblent relativement stables, avec une densité observée d’un animal pour 100 hectares. D’après les enquêtes décennales de présence de l’espèce à l’échelle communale sur l’ensemble des Alpes, l’espèce accuse depuis 1964 une légère régression (disparition sur 103 communes) sur la bordure occidentale de son aire de répartition (Trièves, Matheysine et  Diois pour Rhône-Alpes) (MAGNANI et al. 1990, DELOCHE & MAGNANI 2002, CORTI 2008, BUFFET et al. 2011).

Son statut de conservation est plus fragile dans les Préalpes et les massifs périphériques les moins élevés : il a disparu de la Chartreuse (BAILLY 2016), massif le plus isolé du reste des Alpes. Sa présence récente dans les Bauges mériterait aujourd’hui confirmation. Elle ne l’est pas en 2018. Le nombre de communes de présence régulière aurait ainsi régressé d’au moins 25% depuis la fin des années 1950 et de 14% depuis la décennie 1990. Il convient toutefois de rappeler que ces enquêtes s’appuient sur des témoignages et non sur de véritables données de présence. Cependant, les carnets de prélèvements mis en place depuis 1998 permettent d’avoir une vision plus précise de l’aire de présence régulière de l’espèce et corroborent globalement les résultats des enquêtes.

Contrairement aux sous-espèces écossaise et scandinave, les populations de lièvre variable des Alpes ont été très peu suivies. Jusqu’à présent, les principales données provenaient du suivi des tableaux de chasse et des enquêtes décennales de présence de l’espèce à l’échelle communale (BUFFET et al. 2011). La mise au point de marqueurs génétiques adaptés au lièvre variable ouvre aujourd’hui des perspectives intéressantes pour le suivi de ses populations dans les Alpes et l’estimation de leur taille (BEUGIN et al. 2017). Un protocole de suivi démographique qui met en œuvre une méthode non invasive basée sur l’analyse génétique des fèces a été élaboré (BOUCHE et al. 2017). En 2017, il était appliqué sur 12 sites des Alpes françaises, dont 4 par le parc national de la Vanoise et 6 par les fédérations départementales des chasseurs de Rhône Alpes. Les nouvelles technologies, notamment en matière de télémétrie, devraient aussi permettre l’amélioration des connaissances sur la dynamique de population et l’utilisation de l’habitat chez cette espèce.

Suivi d’une population de lièvres variables (Lepus timidus) en hiver dans le massif des Ecrins, basé sur la génétique (Bouche et al., 2017, Imberdis et al. 2018)

Le développement des techniques associées à des marqueurs génétiques permet aujourd’hui l’identification des espèces et des individus à partir de fèces récoltées sur le terrain. Depuis 2013, le parc national des Ecrins met en œuvre un protocole de collecte de fèces de lièvres en hiver (Lepus timidus et Lepus europaeus). Après extraction et amplification de l’ADN, assignation d’espèces et d’individus, les logiciels de Capture-Marquage-Recapture sont utilisés pour obtenir des effectifs et des densités de lièvre variable sur plusieurs sites d’étude. Depuis 2013, ces densités sont relativement stables, oscillant entre 0,8 et 1,4 individu par kilomètre carré. Les taux de survie obtenus sont de l’ordre de 0,55, ce qui correspond à une longévité maximale de 5 à 6 ans. L’espérance de vie est, elle, de moins de deux ans. En 2017, un hybride de première génération (Lepus timidus X Lepus europaeus) a été découvert parmi les 213 lièvres variables identifiés. Cette méthode, avec des données géolocalisées, apporte également des informations sur l’utilisation de l’espace par les lièvres en hiver : les lièvres variables ne sont pas territoriaux et fidèles à leur site d’hivernage d’une année sur l’autre. Elle donne aussi des informations sur les interactions entre lièvre variable et lièvre d’Europe : les 2 espèces sont en sympatrie sur un gradient d’altitude dont l’importance semble liée aux conditions climatiques.

Rédacteurs:  Michel BOUCHE, Jérôme LETTY et Olivier IBORRA, novembre 2018