Rat noir © Jean-Michel Bompar

Présentation et description

Rat noir © Jean-Michel Bompar

Le rat noir ne peut être confondu avec aucune autre espèce. C’est le plus petit et le plus compact des deux espèces du genre Rattus (Mc DONALD & BARRETT 1995). C’est un rongeur de taille moyenne avec un corps allongé, un museau pointu, des yeux noirs globuleux et des pattes roses. La queue est dénudée et plus longue que le corps. On distingue trois colorations du pelage : gris-brun dessus et blanchâtre dessous, entièrement gris brun, ou presque noir à reflets bleuâtres. L’adulte pèse 140-240 g, longueur tête et corps : 16-24 cm, queue : 18-25 cm (DELFOUR, 2015 ; GRILLO, 1997 ; QUERE & LE LOUARN, 2011). Le rat noir défend un territoire. Celui-ci peut être en certains endroits lié à la construction d’un nid, sphérique, bâti avec un assemblage de débris végétaux lorsqu’il est en milieu naturel et pouvant atteindre jusqu’à plusieurs mètres de hauteur dans les arbres. Dans les constructions humaines, le nid prend place dans un recoin obscur des combles, devenant ainsi le « rat des greniers » (GRILLO, Op. cit ; QUERE & LE LOUARN, Op.cit). Le rat noir est d’origine arboricole et bon grimpeur (RIGAUX, 2016). Il ne vit en extérieur que dans les régions ou la température moyenne annuelle est supérieure à 11°C (CHEYLAN in FAYARD, 1984).

L’activité est nocturne, parfois crépusculaire (QUERE & LE LOUARN, Op.cit). La maturité sexuelle est de trois mois, la gestation est comprise entre 24 et 25 jours, le nombre de portées par an oscille entre 3 et 5 et la taille des portées entre 5 et 10 jeunes (DELFOUR, 2006). Le rat noir est présent et actif toute l’année, sa période de reproduction s’étend en extérieur de mi-mars à mi-novembre et toute l’année lorsqu’il se reproduit à l’intérieur (DELFOUR, Op.cit).

La durée de vie oscille entre 2 et 5 ans. Cette longévité courte est compensée par une organisation sociale très développée et normée. La hiérarchie y est établie par des moyens de communication diversifiés. Les individus vivent en petits groupes familiaux. Les femelles s’occupent des jeunes et défendent aussi le territoire. L’odeur est un sens primordial, chaque groupe possède son odeur collective (QUERE & LE LOUARN, Op.cit). Le domaine vital est peu étendu, les principales distances de déplacement mises en évidence par CMR (Capture, Marquage, Recapture) sont de l’ordre de la centaine de mètres. Il n’existe pas de sous-espèce; dans l’ex région Rhône-Alpes, c’est l’espèce type qui est notée et les 3 morphes décrits plus haut peuvent y être observés.

Il ne bénéficie en France d’aucun statut règlementaire, il est sans statut dans la directive Faune-Flore-Habitat et dans la convention de Berne. En terme de conservation sa préoccupation est « mineure » dans le monde, en Europe et en France (UICN, 2017). Il est classé « en danger » dans l’ex région  Rhône-Alpes (De THIERSANT & DELIRY, 2008).

Etat des connaissances

Historique

La situation du rat noir est paradoxale. Originaire d’Asie, la forme commensale de l’Homme à 38 chromosomes, dont sont issues toutes les populations, européennes occidentales, s’est étendue depuis le Moyen-Orient par la Méditerranée depuis le Pléistocène supérieur. Cette présence remonterait au troisième millénaire avant J.C. (PASCAL et al., 2006). A l’origine le rat n’est donc pas une espèce indigène. Elle est devenu autochtone depuis 1000 ou 2000 ans (ROUZEAU & VIGNE, 1994 ; 1997). Elle pouvait être qualifiée autrefois de commune, mais une tendance au déclin est notée depuis quelques années (QUERE & LE LOUARN, 2011). Des différences locales importantes peuvent être notées.

L’espèce est présente en France et en Rhône-Alpes (Haute-Savoie) au moins depuis le 1er siècle de notre ère, mais elle n’est devenue réellement abondante qu’à partir du XIème siècle (PASCAL et al., Op. cit. ROUZEAU & VIGNE Op. cit). Actuellement, le rat noir n’est abondant avec des effectifs stables que sur le pourtour méditerranéen et en Corse où les populations non commensales atteignent 1000 mètres d’altitude (CHEYLAN, 1988 ; FAUGIER & BULLIFFON, 2015). Dans la base de données de Rhône-Alpes, depuis que les inventaires naturalistes ont démarré, la plus ancienne donnée régionale enregistrée date de 1975 à Poncins dans la Loire (analyse de pelotes), mais la présence de l’espèce est bien antérieure.

Carte de l'état des connaissances sur le rat noir

Distribution actuelle

L’analyse de la carte par mailles met en évidence que le rat noir n’est présent que dans 16 % des mailles du présent atlas (N = 405). La superficie de Rhône-Alpes est de 43 698 km2. Il n’est présent que sur 77 mailles soit environ 7700 km2, ce qui représente moins de 1/5ème de la superficie de Rhône-Alpes. Il est présent dans tous les départements à l’exception de la Savoie. Ceci est sans doute dû à un manque de prospection, alors que l’espèce n’est pas présente dans les lieux d’observation habituels dans ce département. La présence de l’espèce selon l’altitude varie en moyenne de 160 m à 751 mètres (N = 177) ; la donnée la plus extrême montre que l’espèce est présente au-delà de 1000 mètres en Haute-Savoie : 1140 mètres sur la commune de Praz d’Arly au lieu-dit le Rachat. ARIAGNO (2010) mentionne que le Rat noir a subi une forte régression en Rhône-Alpes au cours des quarante dernières années. Il rejoint en ce sens QUERE & LE LOUARN (Op.cit.). Ces auteurs citent la compétition avec le rat surmulot (Rattus norvegicus) pour expliquer la situation actuelle du rat noir. De fait la carte de la répartition par mailles du rat noir met en évidence des noyaux épars de présence. L’élément essentiel est une répartition plus marquée dans l’ouest de Rhône-Alpes que dans la partie alpine de celle- ci. Une analyse plus fine peut être réalisée à partir de la carte des observations réalisées depuis 2005. Dans 3 départements du nord de la région (d’ouest en est: Rhône, Ain, Haute-Savoie), 100 % des observations ont été réalisées depuis 2005, (respectivement N = 7 ; N = 6 ; N = 9). Dans la Loire, le nombre d’observations depuis 2005 a progressé de 58 % (N = 15). En Ardèche, bastion de l’espèce, la progression est de 82 % et en Drôme de 66 % (N = 18). L’unique département ou le rat noir a régressé est l’Isère car plus d’une station sur 2 connue avant 2005 y a disparu (N = 12). Cependant, sa présence dans ce département a été notée sur 6 nouvelles mailles. La cartographie des données régionales va donc à l’encontre de la tendance d’évolution des populations perçue depuis quarante ans et cette situation devrait être tirée au clair. Il n’en reste pas moins que la répartition rhônalpine du rat noir est fragmentée.

Ceci s’explique sans doute, au moins en partie, par les modalités de recueil des données. Les observations directes fournissent 37 % des données. Cependant, pour cette espèce comme pour d’autres, on relève l’apport décisif de l’analyse des pelotes dans la collecte des données. En effet, 33 % des données de rats noirs sont collectées de cette manière en Rhône-Alpes. Il en résulte une petite imprécision quant à la localisation précise des données recueillies. Cette imprécision dépend du rayon d’action des prédateurs, faible pour des effraies (Tyto alba), plus grande pour le grand-duc d’Europe (Bubo bubo) par exemple.

Menaces et conservation

Rats noirs ©Jean-Michel Bompar

Le rat noir est le « rat pesteux » du Moyen Âge. Pendant des années, l’aire d’origine (autour de la mer Noire) et le porteur du bacille de la rage Yersinia pestis semblaient clairement identifiés. (AUDUIN – ROUZEAU & VIGNE, 1994 ; AUDUIN – ROUZEAU & VIGNE, 1997). Aujourd’hui, ceci est à nouveau discuté, aussi bien sur l’aire d’origine que pour l’unique porteur de Yersinia pestis. Il n’en reste pas moins vrai que le rat noir présente une image qui reste encore marquée par cet épisode. De plus,  il souffre également dans les villes de la confusion avec son cousin le rat surmulot (Rattus norvegicus). Ces derniers sont beaucoup plus abondants et très difficiles à maitriser voire à étudier, car les moyens classiques comme le piégeage et la CMR (capture-marquage-recapture) donnent de piètres résultats. De fait, pour les deux espèces, les services publics considèrent qu’il  est souvent nécessaire de dératiser rapidement et cela est, pour le rat noir, sans doute une des principales causes de fragmentation de ses populations.

Nous considérons que dans l’ex région Rhône-Alpes la situation du rat noir mériterait une attention particulière eu égard à sa situation qui reste floue sur l’ensemble de la région.

Toute l’ambiguïté d’une espèce naturalisée…

Nous  attirons l’attention sur la problématique particulière des espèces que les écologues naturalistes qualifient d’espèces invasives. C’en est en effet un bon exemple. Il a été transporté par l’Homme en dehors de son aire d’origine, c’est donc une espèce invasive. Il n’est plus envahissant aujourd’hui dans nos régions mais continue cependant à être considéré comme un fléau. Il s’est acclimaté à presque toutes les situations, ce que lui a permis sa relation particulière avec l’Homme. Pour les écologues, c’est un excellent modèle d’étude, comme beaucoup de rongeurs. Il remplit différentes fonctions dans les écosystèmes où il est apparu (WILSON, 2016). La tendance d’évolution des populations est « en préoccupation mineure » au niveau mondial et en France, mais il est par contre classé « en danger » dans l’ex région Rhône-Alpes (DE THIERSANT & DELIRY Op.cit.). L’ensemble de ces éléments montre que la situation est ambiguë et, comme pour beaucoup d’espèces, une clarification serait plus que bienvenue.

Rédacteurs : Olivier IBORRA et Patrick BALLUET, décembre 2019