Présentation et description
Le campagnol de Fatio Microtus multiplex est une espèce de petite taille morphologiquement proche du campagnol souterrain M. subterraneus, mais un peu plus grand en moyenne que celui-ci, avec un pelage moins sombre, teinté d’ocre sur les flancs chez les individus du Vercors (Brosset & Heim de Balsac 1967), Trièves et Matheysine (PBL obs. pers.). Ses dimensions corporelles varient entre 90 et 110 mm pour la tête+corps, 30 et 40 mm pour la queue et son poids entre 20 et 30 g (Aulagnier et al. 2010). La première molaire inférieure (M1) a une moyenne de 2.60 mm chez M. multiplex versus 2.45 chez M. subterraneus et la troisième molaire supérieure (M3) 1.80 mm chez M. multiplex versus 1.75 chez M. subterraneus (PBL obs. pers.).
Le campagnol de Fatio a été décrit par Fatio en 1905 sous le nom de Arvicola subterraneus multiplex de la proche région de Lugano dans le Tessin (Suisse). Mottaz (1908) élève cette forme au rang d’espèce et l’attribue au genre Pitymys, créé en 1831 par Mc Murtrie pour une espèce américaine P. pinetorum, en raison d’un caractère dentaire commun aux deux espèces, le rhombe pitymyen (confluence des triangles 4 et 5 de la M1). Le statut spécifique de l’espèce est confirmé par Trouessart (1910) et Miller (1912).
Chaline (1972) ne considère plus Pitymys comme genre à part entière, mais comme un sous-genre de Microtus. Chaline et al. (1988), se basant sur les nouvelles connaissances génétiques et paléontologiques des espèces de campagnols, détachent les campagnols souterrains d’Europe du sous-genre Pitymys, sous-genre propre à l’Amérique du Nord, et les classent dans le sous-genre Terricola Fatio 1867. Les études génétiques faites depuis confirment cette position systématique (Jaarola 2004, Robovski et al. 2007).
En montagne, secteur d’où proviennent les données sur la biologie de l’espèce, la période de reproduction commence fin avril et le nombre moyen d’embryons par portée est faible, 2.5 (Quéré & Le Louarn 2011). Le régime alimentaire hivernal est composé de bulbes à 65% et le reste de tubercules et racines à réserves nutritives pour les populations des pelouses hygrophiles, de tiges de graminées dans les pelouses mésophiles (Quéré & Le Louarn op. cit.). M. multiplex se rencontre dans les pâtures, les prairies, les forêts herbacées et le mélézin jusqu’à 2800 m dans le Briançonnais. En Matheysine, lors des périodes de faible démographie du campagnol des champs M. arvalis, M. multiplex occupe en partie les prairies laissées libres par M. arvalis (PBL obs. pers.)
Etat des connaissances
Historique
Selon Tougard (2016), l’origine des Terricola remonterait au Pliocène inférieure (4,05 My) et la datation moléculaire de l’origine des espèces actuelles de Terricola correspond à différentes périodes du Pléistocène. En France, le campagnol de Fatio est connu depuis le Pléistocène moyen final (stade isotopique 6) de la grotte du Lazaret à Nice (Abbassi & Brunet-Lecomte 1996) et du début du Pléistocène supérieur (stades isotopiques 4 et 5) de la baume de Moula-Guercy à Soyons en Ardèche (Brunet-Lecomte et al. 1996). La situation du site, à moins d’un kilomètre du fleuve Rhône (Defleur comm. pers.) ne permet pas d’exclure que les individus aient été capturés en rive orientale du fleuve (Drôme actuelle).
Les premières mentions sûres du campagnol de Fatio en Rhône-Alpes sont celles de Heim de Balsac et Beaufort (1966) pour différentes localités des vallées du Rhône, de l’Isère et le plateau de Chambaran, en Drôme (Cléon d’Andran, Chabrillan, Chabeuil, Marsaz et Hauterives) et Isère (Chantesse et Saint-Romans) et de Brosset et Heim de Balsac (1967) pour le Vercors. En se basant sur les types des sutures naso-frontales proposés Chaline et al. (1974), un critère souvent repris dans les clés d’identification des micromammifères pour distinguer M. multiplex de M. subterraneus, espèce occupant le versant occidentale du fleuve Rhône et le Massif Central, la présence de M. multiplex a été envisagée en bordure orientale du Massif Central dans les départements de l’Ardèche, de la Loire et du Rhône (Fayard & Erome 1977, Ariagno et al. 1981, Aulagnier et al. 1983, Faugier et al. 1989). L’examen approfondi des sutures naso-frontales de M. subterraneus, dans le Massif Central et en Bourgogne (PBL obs. pers.), révèle qu’environ 5% des M. subterraneus ont une suture se rapprochant du type M. multiplex. La validation croisée de ces individus, c’est à dire à partir d’un autre critère, par exemple la morphométrie de la première molaire inférieure (PBL obs. pers), n’a pas permis de confirmer ces déterminations. Aussi jusqu’à date, il n’existe pas de preuve de la présence de M. multiplex à l’ouest du Rhône.
Distribution actuelle
La répartition du campagnol de Fatio est restreinte aux Alpes en Suisse, Italie et France et aux Apennins (Wilson et al. 2017). En Suisse, l’espèce est présente dans le Tessin et la région de Zermatt (Valais), en Italie dans l’ouest et le centre des Alpes, dans les Apennins en Ligurie et le nord de la Toscane. A l’est de l’Adige, M. multiplex est remplacé par le campagnol de Liechtenstein M. liechtensteini, espèce génétiquement très proche (Amori et al. 2008). En France, l’espèce est présente en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, M. multiplex a été trouvé dans l’est des Alpes-Maritimes et des Alpes-de-Haute-Provence, ainsi que dans une grande partie des Hautes-Alpes (Collectif 2016). En Rhône-Alpes, M. multiplex est présent en Drôme, Isère, Savoie et Haute-Savoie. En Isère, M. multiplex est présent dans l’ensemble des districts naturels alpins et préalpins, Grandes Rousses, Oisans, Belledonne, Matheysine, Trièves, Vercors et Chartreuse, dans le Grésivaudan, mais aussi plus à l’ouest dans le Pays voironnais (Monts du Chat), basse vallée de l’Isère, plateau de Chambaran, plaine de Bièvre (Faramans) et dans les Terres Froides (Châbons) (Brunet-Lecomte & Noblet 2013). En Savoie, les données historiques le signalent en Maurienne, Vanoise et Tarentaise (Quéré & Le Louarn op. cit.). En Haute-Savoie, une donnée ancienne se rapporte au Massif des Aravis (La Clusaz 1990, PBL obs. pers.). Dans la Drôme, les données anciennes le mentionnent dans le Vercors, le Diois, en Chambaran et la plaine valentinoise (Heim de Balsac & Beaufort op. cit., Brosset & Heim de Balsac op. cit.) et une donnée récente en Chambaran (Margès, 2019 PBL pour la LPO Drôme). En Isère, la population du plateau de Chambaran, du fait de sa situation géographique marginale, mérite une attention particulière.
En Rhône-Alpes, la donnée la plus élevée (2460 m) a été faite à Oris-en-Rattier (Matheysine, Isère) en 2004 (spécimen trouvé dans une pelote de faucon crécerelle) et la moins élevée (145 m) à Mercurol (Drôme) en 2014 (spécimen trouvé dans une pelote d’effraie des clochers).
Dans le Vercors, l’espèce a été trouvée dans des biotopes variés (Brosset & Heim de Balsac op. cit.), paysage alpin à 2000 m d’altitude (Grand Veymont), plateau de Beurre (1250 m) dénudé, sec et orienté au sud, forêt mixte d’Herbouilly (1400 m) ou friche en limite d’un champ de céréales (600 m), l’absence du campagnol des champs M. arvalis expliquant en partie cette diversité écologique. Brosset et Heim de Balsac (1967) rapportent que les individus de la colonie du Grand Veymont sont diurnes.
La recherche de l’espèce en plaine dans les pelotes d’effraie doit être faite sur un grand nombre de données, par exemple, à Châbons 4 M. multiplex ont été trouvés pour 5328 proies analysées.
Généralement, la densité démographique est faible, toutefois elle peut atteindre 40 individus par hectare au printemps dans le Tessin, voire 100 individus par hectare en automne dans les pelouses mésohygrophiles de l’étage subalpin du Briançonnais (Quéré & Le Louarn op. cit.) et le Vercors (Brosset & Heim de Balsac op. cit.).
Menaces et conservation
Le campagnol de Fatio ne parait pas globalement menacé dans son aire de répartition en France. Toutefois, localement, la menace principale pour les populations du campagnol de Fatio est l’uniformisation des biotopes favorisant M. arvalis (campagnol des champs) à son détriment, ce qui pourrait être le cas notamment en Chambaran. Le maintien des populations de cette espèce dépend de la persistance de biotopes diversifiés et de l’existence de corridors les reliant.
Rédacteur : Patrick BRUNET-LECOMTE, janvier 2020