Chevreuil européen, Saint-Cergues, Haute-Savoie, janvier 2016 © Balverde Nicolas

Présentation et description

Chevreuil, bois de ripaille, Haute-Savoie ©Balverde Nicolas

Le chevreuil est de taille plutôt faible pour un cervidé: 60 à 75 cm au garrot  pour un poids variant entre 20 et un peu plus de 30 kg chez les adultes. Le pelage est d’un roux vif en été et gris-brun en hiver. Le dimorphisme sexuel est peu marqué en hiver avec une zone claire sous la queue (rosette) grossièrement en forme de cœur chez la chevrette et en forme de haricot chez le mâle. Les bois des mâles se présentent sous la forme d’une dague avec ou sans fourche ce qui, avec le corps comprimé latéralement, indique une adaptation au milieu forestier dense. Ils sont caducs, tombant en automne et ré-apparaissant en fin d’hiver. Les adultes sont d’une taille un peu inférieure à celle d’un chamois (Rupicapra rupicapra) mais les individus de cette dernière espèce ont un dessin facial très différent, un pelage généralement bien plus sombre et des cornes permanentes. Les ressemblances sont plus fortes avec des femelles ou des jeunes cerfs élaphes (Cervus elaphus) mais ces derniers présentent une silhouette différente avec de longues pattes, une tête plus anguleuse et une taille beaucoup plus grande. Une autre possibilité de confusion existe avec des femelles ou des jeunes mouflons (Ovis gmelini) mais ceux-ci présentent une silhouette plus trapue et un ventre blanc.

Le genre Capreolus est composée de deux espèces: le chevreuil européen (Capreolus capreolus) et le chevreuil d’Asie (Capreolus pygargus), plus grand et lourd, autrefois considéré comme une sous-espèce du premier. Il n’existe pas de sous-espèces du chevreuil européen.

Le chevreuil est tout à fait autochtone en région Rhône-Alpes. Ponctuellement, après une phase critique au début du 20ème siècle, le retour de l’espèce a été accéléré par des lâchers d’animaux d’origines diverses.

Le chevreuil est actuellement classé gibier dans tous les départements rhônalpins bien qu’avec des conditions et des périodes de chasse différentes selon ceux-ci.

Comme partout, le rut se produit en été, particulièrement de fin juin à fin août, mais des comportements rappelant le rut sont notés occasionnellement entre mars et novembre. Les brocards peuvent se reproduire dès l’âge d’un an, seulement à 14 mois pour les chevrettes, parfois plus tôt dans des cas particuliers. Ainsi, HAINARD (1988) indique la  fécondation d’une chevrette de 4 mois, certes en semi captivité. Celles-ci sont mono-oestriennes et ne peuvent donc être fécondées en dehors de cet unique cycle, en contradiction avec HAINARD (1986) qui indique un retour des chaleurs toutes les quatre semaines. L’espèce se caractérise aussi par une diapause embryonnaire, l’oeuf ou les œufs cessant tout développement durant environ 170 jours, pour reprendre à un rythme normal en toute fin d’année civile ou au début de la suivante.

Si HAINARD (1988) indique des naissances «…en avril, plutôt mai, et juin, exceptionnellement…dans tous les mois de l’année», l’ONCFS (2013) indique que 80 % des jeunes naissent entre le 15 mai et le 5 juin dans les forêts de plaine de notre pays. En région Rhône-Alpes, c’est ce dernier schéma qui semble plutôt la règle, bien qu’avec des particularités vraisemblablement liées à la topographie extrême de cette zone. En région Rhône-Alpes, calculée sur 14 années entre 2001 et 2018, la date moyenne des premières naissances est le 5 mai. Sur cette période, seulement cinq dates d’avril sont connues: 22 avril 2002 à Treschenu-Crevers (26), 25 avril 2013 à Vaulx-en-Velin (69), 14 avril 2014 à Saint-Igny-de-Vers (69), 18 avril 2015 à  Saint-Sauveur-Gouvernet et 30 avril 2015 à La Bégude-de-Mazenc (26). A l’opposé, la reproduction semble plus tardive (plutôt de mi-mai à fin juin) sur le relief des départements alpins.

Ces dates moyennes de naissance semblent relativement constantes. Cela semble désormais un frein à la démographie de l’espèce. En effet, celle-ci ne semble pas capable de s’adapter à une conséquence du réchauffement climatique: le démarrage plus précoce de la végétation. Le pic printanier d’apparition des jeunes pousses indispensables aux chevrettes allaitantes a été avancé de deux semaines, ce qui se traduit par un lait moins riche apporté aux faons et un développement moindre et moins rapide de ceux-ci (PLARD et al. 2014).

Les chevrettes primipares semblent ne produire qu’un faon alors que les femelles multipares sont plus prolifiques avec généralement deux jeunes, bien plus rarement trois. Cette fécondité pourrait être liée aussi à la masse corporelle des chevrettes à la fin de l’hiver: celles pesant moins de 22 kg produiraient un seul jeune, celles qui sont plus lourdes deux à trois (ONCFS 2013). Ces naissances multiples permettent théoriquement un développement rapide des populations.

Dans l’Ain, le pourcentage de femelles suitées entre le 15 mai et le 15 septembre (date approximative d’ouverture du tir des jeunes de l’année) est très variable selon les années et a varié entre 20,6 en 2011 et 51 en 2017 pour une moyenne de 31,15 %. De même, la fécondité moyenne a oscillé entre 1,19  et 1, 87 jeunes par chevrette suitée avec une moyenne de 1,47. Il faut remarquer que les années lors desquelles les pourcentages de femelles suitées ont connu des valeurs extrêmes sont également les années lors desquelles les valeurs de fécondité ont également été extrêmes.

Années 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Pourcentage de chevrettes suitées sur nombre de chevrettes observées entre le 15 mai et le 15 septembre 20,61 34 26,84 43,95 30,95 21,05 51,06 20,75
Nombre moyen de jeunes par chevrette suitée 1,19 1,41 1,3 1,63 1,44 1,5 1,87 1,45

Tableau 1 : pourcentage de chevrettes suitées et fécondité moyenne de celles-ci dans l’Ain (années 2011 à 2018)

De l’automne au début du printemps, les chevreuils forment fréquemment de petits groupes rassemblant le plus souvent moins de 10 individus, tous âges et sexes mêlés, rarement plus d’une dizaine d’individus et assez exceptionnellement plus de vingt (environ 25 à Pérouges – Ain- durant l’hiver 1982/83). Les animaux adoptent alors une activité plus volontiers diurne que le reste de l’année, également des milieux souvent plus ouverts: prairies, luzernières, champs de céréales d’hiver ou de crucifères, chaumes de maïs, etc. Ces rassemblements présentent  probablement des intérêts sécuritaires mais aussi sociaux. Par exemple, les chevrettes semblent s’accoupler préférentiellement avec un mâle ‘choisi’ lors de ces rassemblements hivernaux.

Etat des connaissances

Historique

L’origine des animaux du genre Capreolus demeure floue. Les premiers semblent apparaître en Eurasie durant la glaciation du Günz (entre – 1 200 000 et – 700 000 ans environ).

Dans la région Rhône-Alpes, l’historique des peuplements est marqué par de fortes variations touchant l’aire de répartition et les effectifs. A la moitié du 19ème siècle, OGERIEN (1863) ne le cite que des grandes forêts du Haut-Jura. Par la suite, les auteurs du début du 20ème siècle ne mentionnent apparemment pas l’espèce, ce qui ne signifie pas son absence mais probablement une grande rareté.

Au début des années 1970, de très vastes zones de la région Rhône-Alpes étaient encore inoccupées (FRAPNA,1997). Dans l’Ain, les effectifs au printemps 1974 étaient évalués entre 2100 et 4500 individus, plus forte population régionale avec celle de Savoie (FAVARD et al. 1979). Si l’espèce était encore absente de 30 % des communes de l’Ardèche et de 35 % de celles de la Drôme en 1987, ces lacunes étaient totalement comblées en 1994 (FRAPNA op.cit.). Le critère le plus probant pour juger de l’évolution des populations est l’examen des tableaux de chasse. Par exemple, dans l’Ain, les prélèvements ont progressé de 1976/77 (un peu plus de 1000 individus tués) à 2000/01 (plus de 4500, record départemental) puis ont chuté  jusqu’en 2010/11 (2175) pour entamer ensuite une nouvelle progression (3205 pour la saison 2016/17 (FDC Ain 2018). Pour des raisons probablement sanitaires (v. ci-après), cette tendance se démarque nettement de l’évolution des prélèvements nationaux qui ont progressé presque en continu sur la même période.

Carte de l'état des connaissances sur le chevreuil européen

Distribution actuelle

Cette espèce de chevreuil est présente partout en Europe, depuis la péninsule Ibérique au sud jusqu’aux deux tiers sud de la Scandinavie au nord. Il est toutefois absent des îles méditerranéennes ainsi que d’Irlande. Les zones à forte affinité méditerranéenne sont nettement moins bien peuplées par cet animal.

Le chevreuil est l’un des grands mammifères possédant la plus grande amplitude altitudinale en Rhône-Alpes. En effet, l’espèce a été notée entre l’altitude de 51 m. (Pierrelatte – Drôme) et celle de 2841 m. (Saint-Christophe-en-Oisans – Isère) (v. tableau 2). Si l’altitude moyenne de ses observations dans notre région se situe aux environs de 400 m, la progression de l’espèce en montagne est assez nette et le chevreuil dépasse maintenant occasionnellement la limite supérieure des forêts dans tous les départements. Cette progression doit probablement être reliée au réchauffement climatique et nous devrons peut-être nous habituer à voir presque voisiner chevreuils et bouquetins (Capra ibex).

Département Altitude Commune
01 1610 m Thoiry
07 1630 m La Rochette
26 1820 m Châtillon-en-Diois
38 2841 m Saint-Christophe-en-Oisans
42 1629 m Sauvain
69 1008 m Monsols
73 2675 m Bramans
74 2437 m Contamine

Tableau 2 : altitude maximale atteinte par le chevreuil dans chaque département rhônalpin

 

Chevreuil. parc de Miribel Jonage © Jean-Marie Nicolas

Menaces et conservation

Chevreuil, Miribel-Baronnies, juillet 2011 ©TISSIER Dominique

Une chasse excessive et des  braconnages ponctuels ont longtemps limité les populations régionales du chevreuil. Différents facteurs ont depuis contribué au rétablissement puis au développement de l’espèce.

La mise en place de plans de chasse dans tous les départements a permis de mieux connaître les prélèvements et de pouvoir en principe les adapter rapidement à l’évolution des populations. Ces plans de chasse sont quantitatifs et souvent qualitatifs.  Les tirs d’été dirigés sur les seuls mâles sélectionnent souvent ceux qui présentent des ‘trophées’ les plus beaux ou les plus remarquables, perturbent les animaux au moment du rut et sont souvent un prétexte pour le tir des renards alors fréquemment occupés à muloter sur les prairies fauchées donc sur des sites où ils ne sont pas susceptibles de commettre des dégâts. A l’opposé, le tir des chevreuils de l’année qui constituent généralement le tiers des attributions n’est pas apprécié des chasseurs qui rechignent à tirer des animaux présentant une défense faible mais aussi ….un moindre poids de venaison.

L’espèce a su s’adapter à des habitats forestiers morcelés et on peut même parler çà et là de « chevreuils de plaine » se satisfaisant de boqueteaux épars dans un environnement de grandes cultures.

Une autre raison du développement du chevreuil est probablement la colonisation parallèle de zones franchement montagnardes (v. ci-dessus) et des régions à affinité méditerranéenne (MAILLARD et al. 2015).

Si l’espèce connaît encore un développement numérique et spacial, des motifs d’inquiétude peuvent être relevés. Nous avons déjà évoqué l’inadéquation des dates de naissance et de l’apparition des jeunes pousses végétales (v. plus haut). Il faut aussi parler des maladies. Les plus mortifères sont probablement les maladies parasitaires (strongyloses gastro-intestinales et pulmonaires, bronchite vermineuse). Celles-ci sont probablement la cause principale de l’effondrement des prélèvements dans l’Ain entre 2001 et 2012. Depuis 1997, est apparue une Mortalité Anormale des Chevreuils (MAC). Celle-ci semble toucher essentiellement les zones où les densités de l’espèce est importante. Cette mortalité d’apparition brutale, d’une durée variable et sans saisonnalité, n’a pas d’origine clairement désignée. Elle pourrait être due à la combinaison d’un stress généré par la densité importante et d’une charge parasitaire élevée. Elle se traduit par une mortalité importante, pouvant toucher la moitié des effectifs de certains massifs comme cela a été constaté dans le Rhône (CACARD, 2012). La mortalité par collision semble également importante, au moins localement. Ainsi, les lieutenants de louveterie du département de l’Ain ont signalé 188 cas en 2015, 167 en 2016 et 210 en 2017 (DDT Ain 2018). Ce ne sont probablement que des valeurs minimales car bon nombre d’animaux vont mourir plus loin ou sont « récupérés » par les conducteurs. Le nombre de 21 animaux tués dans de telles circonstances sur la seule commune de Château-Gaillard (01) est très impressionnant. Un  surplus de mortalité est généralement noté au printemps. Cette augmentation printanière des collisions pourrait être imputée à une combinaison de facteurs parmi lesquels les plus importants sont la recherche de nouveaux territoires après l’éclatement des groupes hivernaux et la consommation de bourgeons ou de fruits contenant des alcaloïdes aux effets psychotropes, par exemple ceux de la bourdaine (Frangula alnus). Il convient aussi d’évoquer la prédation de chevreuils par les lynx (Lynx lynx) sur le massif du Jura. Avec le chamois (Rupicapra rupicapra), le chevreuil semble constituer 90 % des proies sauvages de cette espèce (FERUS, 2016). Dans quelques secteurs, des chasseurs disent avoir des difficultés à réaliser entièrement leurs plans de chasse à cause de cette prédation. Cela est possible mais il faut tenir compte d’une plus grande discrétion de ces ongulés dans les zones de présence de leur prédateur et préciser que c’est  à l’homme qu’il appartient d’adapter ses plans de chasse à l’évolution (prédation, maladies, mortalité routière, etc) des populations animales locales.

Rédacteur : Alain BERNARD, décembre 2018