Présentation et description
La musaraigne couronnée Sorex coronatus Millet 1828 constitue, avec la Musaraigne carrelet Sorex araneus et la Musaraigne du Valais Sorex antinorii, un groupe complexe d’espèces cryptiques que seules les recherches portant sur leur patrimoine génétique ont permis de révéler. Il s’agit donc de trois espèces jumelles, difficiles, voire impossibles, à identifier sans recourir à des tests génétiques ou des mesures biométriques complexes. Soupçonnée dès 1964 par MEYLAN, il a fallu attendre 1976 pour que la musaraigne couronnée soit élevée au rang d’espèce et séparée de Sorex araneus (HAUSSER, 1976, MEYLAN & HAUSSER, 1978). Bien qu’on ne puisse affirmer l’absence d’isolats écologiquement favorables pour Sorex araneus, et en l’absence de tests ADN (ADN mitochondrial), la musaraigne couronnée doit être considérée comme la seule espèce présente sur la majeure partie de la France, à l’exception de l’arc alpin et des Pyrénées où les deux espèces pourraient se trouver localement en sympatrie.
Le pelage de la musaraigne couronnée est d’un brun plus ou moins gris, d’aspect parfois « tricolore » : dos sombre, flancs plus clairs et ventre encore plus. Comme les autres musaraignes, elle affectionne les litières et les endroits à forte couverture végétale.
Etat des connaissances
Selon LUGON-MOULIN 2003, la musaraigne couronnée serait issue du sud-ouest de la France à partir d’une des variétés chromosomiques de Sorex araneus. Avec le recul des glaciers, elle aurait progressivement remplacé la Musaraigne carrelet partout où le milieu était suffisamment chaud et sec, isolant cette dernière ou la refoulant dans des zones d’altitude plus froides et/ou humides (LUGON-MOULIN 2003, BLANT, 2008).
La musaraigne couronnée est endémique d’Europe occidentale, sa répartition s’étendant à l’ouest d’une ligne allant des Alpes à la Mer du Nord (ROSSIER et al. ,1993).
En région Auvergne-Rhône-Alpes, les données anciennes (antérieures aux années 1980) des atlas précédents étaient automatiquement attribuées à Sorex araneus. Les connaissances actuelles laissent à penser qu’elles se rapportaient en fait très vraisemblablement à la musaraigne couronnée, notamment pour celles provenant de zones de basse ou moyenne altitude. Aujourd’hui, on assiste à la tendance inverse : toutes les musaraignes du genre Sorex (exception faite avec la musaraigne pygmée) sont presque systématiquement identifiées comme Sorex coronatus. En l’absence de connaissances fines sur la distribution de Sorex araneus, dont on peut imaginer qu’ils subsistent de façon éparse des isolats dans des biotopes frais et humides, la prudence voudrait qu’on utilise la dénomination Sorex cf coronatus, c’est-à-dire Sorex coronatus probable, mais non vérifié génétiquement.
Les données concernant l’espèce proviennent majoritairement de pelotes de réjection de rapaces nocturnes, de captures effectuées dans le cadre d’inventaires faunistiques, plus rarement de cadavres collectés. Les données contenues dans diverses publications scientifiques ont également été prises en compte, avec les références correspondantes.
La carte de répartition ci-contre montre clairement la raréfaction, voire l’absence, de Sorex coronatus dans le sud de la région et, d’une manière générale, du bassin méditerranéen. Ainsi pour la partie rhônalpine de la région AURA, elle est rare dans le sud du département de l’Ardèche (FAUGIER, 2011 ) et dans celui de la Drôme (ARIAGNO, 2014).
En Rhône-Alpes et Auvergne, la musaraigne couronnée est aussi présente dans des zones d’altitude où l’on s’attendrait plutôt à trouver la musaraigne carrelet. Dans les rares zones de sympatrie, voire de syntopie, où la compétition interspécifique est forte, les études menées dans le massif suisse du Jorat (ROSSIER et al, 1993) montrent que les deux espèces occupent des micro-habitats différents, influencés par la température, l’exposition, l’humidité et le pH. En l’absence de compétition, la musaraigne couronnée s’adapte même à des milieux qui lui sont apparemment moins favorables en termes d’humidité et/ou de température. En Auvergne, elle a ainsi été capturée jusqu’à 1600 m dans le massif du Sancy (GMA, GSA, 2015).
Dans le département du Rhône, des séquences de piégeage destinées à la recherche de la musaraigne carrelet n’ont conduit qu’à des captures de musaraignes couronnées, y compris à plus de 1000 m dans les monts du Beaujolais ou du Lyonnais (ARIAGNO et al. 2015). De même l’espèce est très présente dans le massif de la Chartreuse à forte pluviométrie et avec une bonne couverture forestière (BRUNET-LECOMTE, NOBLET, 2013).
Pour autant, son identification certaine par des analyses génétiques fait cruellement défaut sur l’ensemble de la région AURA. A ce jour, seuls les départements du Rhône, de l’Isère et de la Haute-Savoie ont fourni des données certaines. Une étude conduite en 2015 sous l’égide de la FRAPNA Rhône (ARIAGNO et al, 2015) a permis de tester 22 musaraignes (sur les 28 capturées) par analyse de l’ADN mitochondrial. Cette étude menée sur divers sites départementaux jugés à priori favorables à la présence éventuelle de Sorex araneus (et jusqu’à plus de 1000 m d’altitude sur le mont Saint-Rigaud) a montré que tous les individus testés se sont avérés être des musaraignes couronnées.
Dans le Parc National de la Vanoise (BOUCHE & LEMMET 2004), une étude sur la répartition des micromammifères, dont les musaraignes, a constaté l’absence de la musaraigne couronnée à des altitudes supérieures à 1700 m. En Haute-Savoie à 700 m d’altitude (Haut-Giffre), DESMET a mis sa présence en évidence par des mesures biométriques rigoureuses.
Largement répandue en Rhône-Alpes et Auvergne, la musaraigne couronnée semble cependant exclue des zones planitiaires sans végétation, des zones agricoles et des secteurs arides ou rocailleux. Mais elle réapparait dès que des reliefs à fort couvert végétal sont présents. A partir des données utilisées dans le cadre de cet atlas, il ressort que l’altitude moyenne des observations se situe autour de 500 m. Des données plus en altitude sont cependant connues. Outre celles du département du Rhône (1012 m), la musaraigne couronnée a été signalée plusieurs fois sur les hauts-plateaux du Vercors (commune de Chichiliane, Isère) jusqu’à des altitudes supérieures à 1600 m. Mais les preuves génétiques font malheureusement défaut pour affirmer qu’il s’agit bien de la musaraigne couronnée.
Menaces et conservation
S’il n’y a pas de menaces spécifiques identifiées pour la musaraigne couronnée, l’artificialisation des milieux et les défrichements constituent un fonds de menaces commun à beaucoup d’espèces mammaliennes. Les fortes chaleurs et la sécheresse, induites par le changement climatique, lui seraient également défavorables et pourraient entraîner une plus forte compétition avec la musaraigne musette Crocidura russula. Comme beaucoup de petits mammifères, la musaraigne couronnée subit une pression de prédation de la part des rapaces (effraie des clochers, entre autres) et des carnivores. Les chats en capturent parfois beaucoup, mais les consomment peu (à cause de leur odeur musquée ?).
Si la musaraigne couronnée parait ne pas nécessiter de mesures de protection particulière, elle a, comme l’ensemble des Soricidés, un besoin urgent de recherches et d’études complémentaires. En particulier, des analyses génétiques systématiques seraient nécessaires sur chaque individu collecté afin d’avoir une vision précise de sa distribution. A ce jour, les seules 22 données confirmées par ADN proviennent du département du Rhône.
On ignore également pratiquement tout de sa distribution alpine et préalpine (limites altitudinales par exemple), et même de sa distribution tout court dans les zones de contact avec Sorex araneus. La question se pose aussi pour les départements « méditerranéens » de la région.
La répartition altitudinale des Sorex et Crocidura dans le département du Rhône
Dans le département du Rhône, à partir de plusieurs milliers de crânes provenant de l’analyse de pelotes de réjection, ARIAGNO et al, 1981 ont montré que le rapport Sorex/Crocidura permettait d’établir une répartition spatiale et altitudinale des deux espèces, le rapport étant supérieur à 1 à partir d’une altitude de 500 mètres environ, et inférieur à 1 aux altitudes plus faibles ou en plaine . Par exemple, la comparaison entre monts du Beaujolais et plaine de l’Est lyonnais donnait les valeurs suivantes :
Monts du Beaujolais : 17,8 % de Sorex et 15,9 % de Crocidura pour un ratio Sorex/Crocidura de 1,19
Plaine Est lyonnais : 7 % de Sorex et 40,4 % de Crocidura pour un ratio de 0,16
Rédacteurs: Daniel Ariagno, Julien Bouniol et Jean-François Desmet, décembre 2019