Présentation et description
La loutre d’Europe, Lutra lutra (Linnaeus, 1758) peut s’appeler aussi loutre d’Eurasie ou loutre eurasienne. Elle est l’une des 13 espèces et 8 genres existants dans le monde et la seule espèce en Europe. Plusieurs sous-espèces sont reconnues, dont Lutra lutra lutra en Europe et en Asie du Nord.
C’est un carnivore qui appartient à la famille des mustélidés. C’est une espèce autochtone.
La tête est aplatie avec des oreilles petites. Le corps est fuselé, avec une queue longue, épaisse à la base et pointue à l’extrémité. Les pattes sont courtes, fortes avec des pieds entièrement palmés. Sa longueur totale est de 1 m à 1,30 m pour un poids de 5 à 11 kg. Le pelage est très dense et imperméable, il est marron et très clair sur la gorge et le cou. Les risques de confusion sont possibles surtout avec le castor et le ragondin, voire le vison, pour des animaux nageant.
Toute zone humide et habitat aquatique est susceptible d’accueillir la loutre, pourvu qu’elle y trouve toute l’année disponibilité alimentaire, possibilité de déplacements et facilité de création de gîtes.
Son régime alimentaire est essentiellement composé de poissons, mais il peut varier énormément selon les saisons et les secteurs géographiques avec des parts importantes d’amphibiens, d’écrevisses et d’autres invertébrés aquatiques. Elle peut ajouter aussi quelques reptiles, oiseaux, mammifères. C’est une opportuniste qui connait parfaitement son territoire.
Il n’y a pas de cycle annuel, ni de période de rut définis. La loutre d’Europe peut se reproduire toute l’année. C’est une espèce à polyoestrus non-saisonnier. Mâles et femelles ne passent que 1 ou 2 jours ensemble, ces rencontres peuvent se répéter. La gestation dure environ 2 mois. Les femelles mettent bas 1 à 3 petits, rarement 4 et assurent seules l’intégralité de l’élevage jusqu’à l’émancipation des jeunes vers l’âge de 8 à 12 mois. Le gîte utilisé par la femelle (en général un terrier souterrain et bien caché dans une berge) porte le nom particulier de catiche. Un autre terme très spécifique est employé pour désigner les excréments de la loutre : les épreintes.
La maturité sexuelle est atteinte entre 2 et 3 ans et l’espérance de vie moyenne est d’environ 5 ans, rarement jusqu’à 10 ans. Environ 50% des jeunes meurent avant 1 an. Le renouvellement est faible et l’accroissement des populations de loutres est donc très lent.
La loutre n’est pas une espèce nocturne, elle y a plutôt été contrainte par le dérangement humain. Elle est d’ailleurs majoritairement diurne dans les secteurs côtiers et redevient de plus en plus active le jour là où elle peut être tranquille.
Les densités de loutre sont généralement faibles. Des valeurs moyennes observées en Europe vont de 0,07 à 0,25 loutre/km de cours d’eau. Les domaines vitaux occupés vont de 5 à 40 km de linéaire de rivière (plusieurs territoires plus petits de femelles pouvant se côtoyer au sein du grand territoire d’un mâle). Hormis pour le bassin de l’Ardèche où une estimation du nombre de loutres pourrait être faite (conditionnée à plusieurs paramètres), aucune estimation d’effectif ou de densité n’est disponible pour la région.
Etat des connaissances
Historique
L’espèce actuelle Lutra lutra se serait répandue en Europe vers la fin du Pléistocène ou au début de l’Holocène.
La loutre n’a certainement jamais totalement disparu de la région Rhône-Alpes malgré un très fort déclin entre les années 1930 et les années 1980. Dans la littérature, l’espèce est considérée comme commune jusque dans les années 1930. Ainsi Mathias (1933) la cite comme « particulièrement nombreuse dans la région lyonnaise ». Le déclin semble s’amorcer très vite à l’issue de cette décennie puisque Bouchardy (1986), la considère déjà comme « rare » en Ardèche, Rhône et Isère pour la période 1930-1949 alors qu’elle était encore « commune » dans la plupart des départements français. Ce n’est ensuite qu’en 1981, que l’étude menée par Broyer et Erôme sur le bassin du Rhône a permis de faire un point sur la situation de l’espèce, mais également de reconstituer partiellement la chronologie de ce déclin : « aggravation du statut de la loutre de 1930 à 1950 et forte chute des populations de 1950 à 1970 » avec des disparitions qui se poursuivent jusque dans les années 1980. On peut donc affirmer que c’est à l’époque de cette étude (1981) que les populations régionales étaient au plus bas. Ne subsistaient alors que 3 secteurs fréquentés par la loutre : le Haut-Rhône (rivières les Usses), la confluence Ain/Rhône et la rivière Drôme. Auxquels il faut rajouter sa présence sur les affluents ardéchois de l’Allier (Espezonnette, Masméjan …) (Bendelé et Prot, Michelot, Bouchardy). Sa disparition complète était alors probable au point que des premières études de faisabilité de sa réintroduction ont alors été lancées. Heureusement il n’en fût rien et à partir des années 1990, les études et recherches sur l’espèce sont plus nombreuses et nous permettent d’avoir une vision assez précise de son retour en Rhône-Alpes.
Distribution actuelle
En Europe, la loutre est présente dans tous domaines biogéographiques et dans les trois présents en Rhône-Alpes : continental, méditerranéen et alpin.
La loutre a été notée dans les huit départements au cours de la dernière décennie mais avec des fréquences très différentes. Il y a environ 2000 données de loutre en région Rhône-Alpes pour la période 2007-2017. Alors qu’il n’y avait que quelques dizaines de citations par an, à partir de 2009, puis surtout de 2012, le nombre s’est sensiblement accru pour atteindre plus de 300 par an depuis. Cela s’explique par plusieurs facteurs : l’extension de l’espèce dans la partie ouest et sud de la région (Loire, Ardèche et dans une moindre mesure Drôme), la déclinaison régionale du Plan National d’Actions qui a permis de mener des prospections spécifiques et de démultiplier le réseau d’observateurs grâce aux formations et enfin la réalisation d’études locales dans plusieurs départements : Haute-Savoie (programme LIFE), Loire, Ain, Ardèche. Les 3 départements qui cumulent le plus grand nombre de données depuis 2005 sont l’Ardèche (plus de 1000), la Loire (environ 600) et la Drôme (environ 350) soit 95% de l’ensemble des données régionales. Le développement de l’utilisation des pièges photographiques a également permis d’apporter un certain nombre d’informations mais l’immense majorité des données est constituée des épreintes qui restent l’élément le plus fiable et le plus facile à trouver et identifier pour détecter la présence de la loutre.
L’immense majorité des données de loutre se situent en dessous de 600m mais des données sont signalées au-delà de 1600 m (hautes-Chaumes du Forez, plateau ardéchois). La loutre est capable d’aller à des altitudes encore bien supérieures (notamment en phase de recherche de territoire) mais les cours d’eau les plus élevés du massif alpin ne sont pas encore fréquentés par l’espèce du fait de la faible pression démographique et des très nombreux obstacles qui fragmentent la continuité du réseau hydrographique.
La progression en Rhône-Alpes de la recolonisation naturelle de la loutre est remarquable durant ces 15 dernières années. Ce mouvement a débuté à la fin des années 1980 à partir des populations stables de loutres du cœur du Massif Central (Creuse, Corrèze) et s’est étendu en Auvergne, puis en Rhône-Alpes.
Dans l’ensemble du bassin de l’Ardèche et ses sous-bassins Chassezac, Beaume, Landes, Volane, Sandron et plus au nord, dans les rivières Eyrieux et Doux, l’espèce est bien présente de façon continue depuis les années 2000.
En Loire, l’espèce est notée pour la première fois en 2006 sur la Semène et sur l’Ance et l’Andrable en 2008. A partir de 2009, la recolonisation est spectaculaire depuis les populations en provenance de l’Auvergne (via les têtes de bassins sur les Hautes-Chaumes du Forez). Le grand fleuve a été franchi en 2010 et la loutre est désormais régulière sur tous les affluents en rive gauche et commence à remonter les affluents en rive droite (Sornin, Gand, Rhins, Loise, Coise,…). Début 2018, elle a franchi la ligne de crête des Monts du Lyonnais pour arriver dans le département du Rhône. Elle est également notée sur le Furan, l’Ondaine et le Gier et les vallons rhodaniens dans le Pilat.
L’espèce est notée sur une grande partie du linéaire du Rhône (y compris au cœur de l’agglomération lyonnaise !) mais les données sur la partie amont restent encore rares et c’est au sud de Valence que les données sont les plus nombreuses et régulières. Le Rhône joue un rôle fondamental dans la dispersion de l’espèce dans le sud de la région et c’est à partir du fleuve qu’elle va prospecter et coloniser peu à peu différents affluents comme en Drôme sur le Lez, l’Eygues, le Jabron ou sa présence est désormais continue ou en Isère sur la Varèze, et l’Ozon. Dans ce département, elle est également signalée aux portes de Grenoble sur la rivière Isère ou de manière plus surprenante sur la Bourne. En 2018, son retour est confirmé dans la vallée de la Romanche.
Un petit isolat de population semble se maintenir en Haute-Savoie sur la vallée de l’Arve.
Enfin, sa présence est confirmée sur la rivière Ain jusqu’à la confluence avec le Rhône.
Menaces et conservation
La loutre d’Europe est inscrite à l’Annexe I de la CITES (1973), l’Annexe II (espèces de faune strictement protégées) de la Convention de Berne (1979) et les Annexes II (espèces d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de Zones Spéciales de Conservation) et IV (espèces d’intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte) de la Directive Habitats Faune Flore 92/43/EC (1992).
Sur la Liste Rouge mondiale de l’UICN (2009), elle est inscrite dans la catégorie «espèce quasi menacée » (near threatened), c’est à dire espèce proche du seuil des espèces menacées ou qui pourrait être menacée en l’absence de mesures de conservation spécifiques.
La loutre d’Europe est classée dans la catégorie « préoccupation mineure » sur la Liste Rouge de l’UICN des espèces menacées en France (2009). Cependant, l’espèce est considérée comme étant éteinte dans plusieurs régions de son ancienne aire de répartition et elle est classée dans la catégorie « en grave danger » sur la liste rouge de Rhône-Alpes mais dont la dernière version date de 2008.
En France, sa chasse et sa destruction sont interdites depuis 1972 et son statut d’espèce strictement protégée acté par l’arrêté du 17 avril 1981 et suivants (23 avril 2007). En tant qu’espèce intégralement protégée, la loutre n’est pas chassable ni susceptible d’être classée « nuisible ». Comme pour le castor et le vison d’Europe, l’utilisation de pièges tuants est interdite dans la zone de présence de l’espèce. La localisation de cette interdiction fait l’objet d’un arrêté préfectoral.
La loutre a fait l’objet d’un PNA entre 2010 et 2015 qui a été évalué en 2016. Un second PNA est en cours de rédaction (2017). Elle est également une espèce indicatrice ZNIEFF et espèce de cohérence écologique au niveau national et régional pour la définition de la TVB (Trame Verte et Bleue).
Aujourd’hui la première cause de mortalité de la loutre en France est le trafic routier. Les écrasements sont encore assez rares en Rhône-Alpes : 5 cas signalés entre 2008 et 2017 : 3 en Ardèche, 1 dans la Loire et 1 dans l’Ain mais risquent sans doute d’augmenter au fur et à mesure de la progression de l’espèce et son arrivée dans des secteurs au réseau routier plus dense qu’en Ardèche ou sur les Monts du Forez.
L’autre menace potentielle qui pèse sur l’avenir des populations de loutre, ce sont les intoxications aux métaux lourds et aux PcBs. L’étude réalisée par Lemarchand sur le bassin de la Loire a montré que tous les individus étudiés étaient contaminés à des degrés divers. Ces niveaux d’intoxication n’étaient pas létaux mais on peut s’interroger sur leurs effets délétères à long terme et notamment sur le taux de reproduction.
Si la dynamique de la population en Rhône -Alpes est pour l’instant positive, elle peut-être ralentie ou stoppée par certains aménagements sur les cours d’eau (barrages).
Enfin, comme pour tout prédateur, le retour de la loutre peut susciter la crainte de certains acteurs voire des conflits d’usages, notamment avec la pisciculture. Mais des solutions pour une cohabitation harmonieuse existent.
Si l’on veut voir ce mouvement de recolonisation se poursuivre, il est donc nécessaire d’accompagner le retour de la loutre en :
– aménageant les obstacles infranchissables (barrages notamment) afin d’augmenter le réseau hydrographique accessible à la loutre
– limitant les risques de mortalité routière en aménageant les passages des cours d’eau sous les voiries « à risque »
– veillant à la bonne application de la réglementation qui interdit les pièges tuants en zone de présence de la loutre
– anticipant et prévenant les éventuels conflits d’usages notamment avec la pisciculture.
Rédacteurs : Jacques BOUCHE et Sébastien TEYSSIER, novembre 2017