Crossope de Miller, Samoëns, Haute-Savoie © JF Desmet

Présentation et description

Crossope de Miller, Samoëns, Haute-Savoie © JF Desmet

Mammifère de l’ordre des Eulipotyphles, famille des Soricidae, sous famille des Soricinae, et du genre Neomys. La crossope de Miller Neomys anomalus est également connue sous le nom de musaraigne de Miller.

Comme sa cousine la crossope aquatique Neomys fodiens, et bien qu’un peu plus petite que celle-ci, la crossope de Miller est une grande musaraigne aux allures assez costaudes. Sa taille (tête + corps) est comprise entre 64 et 88 mm et la longueur de sa queue entre 42 et 64 mm, pour un poids de 8 à 16 grammes (HAUSSER & al. 1995). Le pelage du corps est bicolore, avec un dos et des flancs sombres, gris anthracite à noir, contrastant avec un ventre clair, blanc à gris plus ou moins foncé. Le pelage ventral peut en outre présenter des taches sombres et des individus plus ou moins mélaniques peuvent même être rencontrés (LUGON-MOULIN 2003). De petites virgules blanches sont souvent présentes juste en arrière et au contact des yeux. Le pelage est parfois marqué de nuances brunâtres. Des franges de poils bordent les pattes antérieures et surtout postérieures mais elles sont bien moins développées et denses que chez N. fodiens. Une rame de poils peut éventuellement figurer partiellement sous la queue mais elle est alors réduite et n’occupe que sa partie distale.

La distinction avec la crossope aquatique reste délicate. Entre autre, une N. fodiens âgée aux franges des pattes et de la queue usées peut être identifiée à tort comme une N. anomalus. La probable plus grande rareté de la crossope de Miller ainsi que ces difficultés d’identification peuvent expliquer en partie la rareté des données collectées pour cette espèce. Mis à part les analyses génétiques, des critères ostéologiques précis et parfois délicats à mesurer peuvent être utilisés, en particulier à partir des restes crâniens, permettant d’affiner l’identification : hauteur mandibulaire, position du foramen lacrymal par rapport à la rangée dentaire supérieure, proportions relatives des pelotes plantaires.

Cette crossope est présente en Europe continentale entre les parallèles 37° et 55° N, jusqu’en Asie Mineure à l’Ouest de la rivière Don. Elle serait considérée comme une relique périglaciaire à distribution discontinue en Europe moyenne et méridionale (K. BAUER in HAINARD 1987). En Europe occidentale elle est représentée en particulier dans les principaux secteurs montagneux : Espagne, Pyrénées, Massif central, Alpes, Jura, Morvan, Ardennes, Vosges, Balkans ; également quelques petites populations isolées en Belgique ainsi que dans le nord de l’Allemagne (HAUSSER 1995, MITCHELL-JONES & al. 1999, LUGON-MOULIN 2003, CSA GMA 2015 ).

Au moins 5  sous-espèces seraient reconnues à l’échelon européen. Dans la partie occidentale de l’Europe, seules 2 sous-espèces seraient retenues (possiblement retenues comme espèces) : N. a. anomalus qui occupe en particulier la péninsule ibérique et N. a. milleri pour le reste. Des analyses génétiques seraient nécessaires afin de préciser l’appartenance des diverses populations françaises à l’une ou l’autre de ces sous-espèces (ou espèces). Les populations rhônalpines appartiendraient à Neomys anomalus milleri (HAUSSER 1995, LUGON-MOULIN 2003, AULAGNIER 2019).

L’habitat de la crossope de Miller ressemble un peu à celui de sa cousine et bon nombre de milieux frais-humides occupés par la crossope de Miller correspondent également à ceux fréquentés par la crossope aquatique. Elle est cependant plus généraliste que cette dernière (LUGON-MOULIN 2003). Ainsi, malgré l’existence probable de relations de compétition interspécifiques, les deux espèces peuvent coexister en de mêmes sites dans les Alpes (HAUSSER 1995, MITCHELL-JONES & al. 1999, LUGON-MOULIN 2003). Cela a été constaté à plusieurs reprises dans le Haut-Giffre (Haute-Savoie) au voisinage de lits de rivière du fond de la vallée ainsi qu’au bord de petits ruisseaux du montagnard au subalpin, où les deux crossopes ont été notées/capturées sur les mêmes lieux (DESMET 1975, 2003). La crossope de Miller peut toutefois aussi s’éloigner beaucoup plus de l’élément liquide en affectionnant en particulier des secteurs possédant une couverture végétale généreuse procurant des cachettes favorables (HAUSSER 1995, LUGON-MOULIN 2003). TABERLET a en outre souligné l’importance de l’existence d’un réseau hydrographique dense dans les secteurs occupées par cette crossope (TABERLET 1982, FAYARD 1984).

En Europe, l’espèce peut être rencontrée depuis des altitudes très basses, jusqu’à parfois 1850 m et même 2100 m dans certaines localités alpines (LUGON-MOULIN 2003, GILLIERON 2012, AULAGNIER & al. 2008).

La crossope de Miller est active de jour comme de nuit et nage bien et, à l’instar de sa cousine, sa salive est également venimeuse. Elle rechercherait moins son alimentation dans l’eau mais plutôt en grande partie sur la terre ferme. Sa nourriture est composée d’invertébrés  : arthropodes (insectes, crustacés, myriapodes, arachnides ….), mollusques gastéropodes, lombrics, … mais ses exigences précises sont encore mal connues.

La reproduction peut intervenir déjà dans l’année de naissance. L’espèce peut donner jusqu’à trois portées par an de 5 à 12-13 jeunes. Par ailleurs, comme d’autres soricidés, elle présente le phénomène de Dehnel (rétrécissement de la boite crânienne pendant l’hiver et retour à sa taille normale au printemps) en période hivernale (LUGON-MOULIN 2003).

Les populations de crossope de Miller seraient en déclin au niveau européen (HUTTERER & al. 2017, IUCN RedList). La musaraigne de Miller et sa cousine la musaraigne aquatique font partie des rares insectivores protégés au niveau national.

 

Etat des connaissances

Jusqu’à ce jour, les données de crossope de Miller sont relativement peu nombreuses en France et en particulier en Rhône-Alpes. Toutefois, cela est probablement dû en partie au défaut de prospection et à la relative difficulté de détermination précise de l’espèce.

Ainsi, SAINT-GIRONS (1973) propose une carte nationale avec seulement 8 localités pour l’ensemble de l’hexagone, dont une localité en Haute-Savoie pour la région rhônalpine. En 1982, à partir de dissections de pelotes de rejection de chouette effraie, TABERLET la mentionne dans une douzaine de stations de plaine du Bas-Chablais haut-savoyard (TABERLET 1982). L’atlas des mammifères sauvages de France (FAYARD 1984) mentionne l’espèce dans moins d’une quarantaine de mailles, dont une quinzaine concernent les départements rhônalpins. L’atlas des mammifères sauvages de Rhône-Alpes publié en 1997 (FRAPNA-GRILLO coord. 1997) signale, quant à lui pour cette seule région, la présence de la crossope de Miller dans 9 districts naturels de 6 départements : Ain (Crêts du Jura), Rhône (Beaujolais Nord), Haute-Savoie (Chablais, Arve-Giffre, Mont-Blanc), Savoie (Rhône-Bourget, Monts du Chat), Loire (Pilat), Drôme (Diois). Signalons encore que GILLIERON rapporte également des observations personnelles aux Marais de Lavours (GILLIERON  & MOREL  2018).

Il est probable que l’espèce soit plus largement répandue que ne l’indiquent les relativement peu nombreuses données collectées. La crossope de Miller fait partie de ces espèces qui mériteraient des efforts de prospection complémentaires afin de préciser sa distribution réelle.

Carte de l'état des connaissances sur la crossope de Miller

Concernant les données collectées et disponibles à ce jour et relatives aux secteurs rhônalpins, leur origine respective est variée : 62% proviennent de captures par piégeages, 19% de découvertes fortuites de cadavres (probablement résultant de la capture sans consommation par un prédateur, probablement/certainement le chat), ~2% d’analyse de pelotes de rapaces nocturnes et ~2% d’origine inconnue.

A ce jour, 21 données de crossope de Miller sont enregistrées dans la base de données de Rhône-Alpes (dont près des 2/3 pour le seul secteur haut savoyard du Haut-Giffre) :

– 6 données avant 2010, toutes localisées en Haute-Savoie : 4 mailles dans le Haut-Giffre, 1 maille à l’extrémité sud du lac d’Annecy.

– 15 nouvelles données depuis 2010 : 7 nouvelles mailles de présence de l’espèce se sont ainsi rajoutées aboutissant à ce jour au total de :

– 7 mailles en Haute-Savoie (5 mailles réparties en Haut-Giffre, 1 dans le secteur Genevois-Annecy, 1 au sud-ouest de la Cluse du lac d’Annecy)

– 2 mailles dans l’Ain (1 en Bugey et 1 dans les Crêts du Jura),

– 1 maille en Savoie dans l’Albanais,

– 1 maille en Isère dans les Terres Froides.

– 1 maille dans le Rhône dans le Beaujolais vert.

Ainsi, à ce jour, au vu des données disponibles (très certainement très incomplètes), la crossope de Miller a en Rhône-Alpes principalement été contactée dans le département de Haute-Savoie.

En région Rhône-Alpes, les données de la base de données proviennent de localités situées entre 480 m (Albanais) et 1700 m (Haut-Giffre) d’altitude, mais majoritairement entre 700 et 900 m. Toutefois l’espèce a par ailleurs été notée dès 190 m d’altitude dans le Bas-Chablais haut-savoyard (TABERLET 1982) ainsi que dans l’Ain vers 230 m au Marais de Lavours (GILLIERON  & MOREL 2018). Dans le Haut-Giffre plus précisément, d’où sont issues les 2/3 des observations de la base de données de Rhône-Alpes, la crossope de Miller a été à ce jour contactée de 600 m à au moins 1700 m d’altitude. L’espèce y a ainsi été notée dans des milieux le plus souvent humides et « frais » : au sein d’ilots graveleux/limoneux de la rivière Giffre ou de sa forêt riveraine, le long ou à proximité de petits ruisseaux et autres écoulements courant dans des prairies ou formations forestières mixtes montagnardes ou résineuses subalpines, et jusqu’au voisinage d’écoulements traversant des prairies de montagne avec aulnaies vertes et alpages du subalpin (DESMET 1975, 1986, 1989, 2003).  Ce type de milieux fréquentés par la crossope de Miller était partagé avec d’autres soricidés : musaraigne carrelet Sorex araneus, musaraigne pygmée Sorex minutus, musaraigne alpine Sorex alpinus ou crossope aquatique Neomys fodiens.

Notons encore que nous (JF DESMET) avons également eu l’occasion de la capturer à diverses reprises et à toutes saisons dans des chalets de montagne (en cohabitation avec Sorex araneus, Sorex minutus et Sorex alpinus) ainsi que dans des habitations d’agglomérations de plaine (en cohabitation avec N. fodiens dans une maison au sol disjoint et sous laquelle court un écoulement d’eau canalisé ; ou en cohabitation avec la crocidure musette Crocidura russula dans une cuisine au rez-de-chaussée, profitant des restes alimentaires de la poubelle). Dans l’Ain elle a été capturée en hiver au niveau de murets jouxtant des habitations, partageant les lieux avec la crocidure bicolore Crocidura leucodon. MARCHESI et LUGON  ont également rapporté la présence occasionnelle en hiver de la crossope de Miller dans des maisons et chalets du Valais (MARCHESI & LUGON  2003).

Crossope de Miller, Samoëns, Haute-Savoie © JF Desmet

Menaces et conservation

Crossope de Miller, Samoëns, Haute-Savoie © JF Desmet

D’une manière générale, des menaces pouvant affecter la survie de l’espèce ne sont pas clairement identifiées.

Toutefois, comme sa cousine, la crossope de Miller est en partie tributaire de la bonne qualité des milieux humides (eau, rives et abords) qu’elle occupe. Les altérations de son habitat (recalibrages, « aménagements », assèchements, pollutions …) doivent représenter les principaux risques pour le maintien de ses populations.

L’espèce est probablement mieux représentée en Rhône-Alpes que ne le laisse penser l’état de nos connaissances actuelles. Le faible nombre de données collectées à ce jour, même en certains secteurs de présence connue, reflète certainement pour une bonne part un défaut de prospection ou d’intérêt, et est probablement parfois dû à des confusions avec l’autre crossope.

Rédacteur: jean-François Desmet, janvier 2021