Sanglier, Drôme, décembre 2017 © Reinaud Christian

Présentation et description

Sanglier, Les Vouans, janvier 2017 © Nicolas Balverde

Appelé aussi « cochon » ou, plus respectueusement,  « bête noire », le sanglier est l’archétype de l’animal sauvage dans bien des sites de Rhône-Alpes. Sa silhouette caractéristique exclut toute confusion dans la nature et il est superflu de le décrire.

Le sanglier est représenté naturellement par seize sous-espèces à travers l’Eurasie et l’Afrique du Nord. Seules deux sont présentes dans notre pays: Sus scrofa meridionalis en Corse et S. s. scrofa sur le continent et donc en Rhône-Alpes.

Le sanglier est tout à fait autochtone dans notre région même si, localement, ses populations ont été renforcées autrefois par des animaux d’élevage.

L’espèce est classée gibier dans tous les départements rhônalpins et est considérée comme « susceptible d’occasionner des dégâts » presque partout, de petites différences locales plus ou moins provisoires pouvant adoucir ce statut.

En dehors des populations d’altitude, la biologie de l’espèce en Rhône-Alpes ne diffère guère de celle rencontrée partout ailleurs en France. Favorisé par différentes causes, un net allongement de la période de reproduction a été observé ces dernières décennies. Dorénavant, des mises-bas peuvent être observées tout au long de l’année, y compris en hiver et certaines laies paraissent susceptibles de donner naissance à deux portées annuelles. Aux plus hautes altitudes, les naissances sont nécessairement « tardives » mais présentent un nombre de jeunes comparable à celui habituellement observé en France (BAUBET,1998). Profitant de ressources alimentaires accrues et naissant parfois plus tôt en saison, les jeunes laies peuvent connaître un âge de mise-bas plus précoce qu’autrefois. Là encore, les populations d’altitudes ne connaissent pas (encore!) ce phénomène (BAUBET, op.cit.).

Les auteurs du début du 20ème siècle ont beaucoup discuté sur de prétendues migrations de l’espèce pour expliquer son retour dans des secteurs autrefois désertés ou des augmentations rapides d’effectif. Ces prétendus mouvements migratoires ont depuis été largement battus en brèche.

Les études récentes démontrent bien en effet une relative sédentarité de l’espèce, particulièrement chez les femelles et les jeunes. Ainsi, aux confins des départements de l’Ain, de la Haute-Savoie et des cantons suisses de Genève et Vaud (BEER, 2007), 54 % des 436 individus marqués ont été retrouvés dans un rayon de 2 km autour du lieu de la première capture et seuls 7,9 % ont été retrouvés à plus de 10 km de celle-ci, le record étant détenu par un mâle auteur d’un déplacement de 145 km entre l’Etournel (01) et Fribourg (CH). Cette même étude met en évidence des domaines vitaux des laies variant selon les secteurs de 147 à 589 ha. Dans les zones d’altitude, ces valeurs sont un peu plus élevées et les domaines vitaux semblent régis au moins partiellement par les lignes de crête et les vallées. Sur le Jura gessien (01), la distance moyenne entre les points de marquage et l’emplacement où les sangliers ont été tués est de 4,9 km (extrêmes: 0,2-15,4) variant de 3,6 km pour les femelles à 5,8 km pour les mâles. Dans cette région, les domaines vitaux saisonniers sont en moyenne de 14,4 km² (FISCHER & FELIX, 2017), valeur un peu plus forte que les 11 à 12 km² indiqués par BAUBET (op.cit.) en Maurienne (73). Dans ces zones d’altitude, bien que l’espèce soit sédentaire, elle occupe l’espace de manière fragmentée, ce qui peut se traduire par l’existence de migrations altitudinales (BAUBET, op. cit.).

Particulièrement en période de chasse, les sangliers fréquentent préférentiellement des zones de quiétude (réserves cynégétiques, milieux périurbains, camps militaires par exemple) pour l’installation de leurs bauges. Cela leur permet d’échapper à la pression de chasse et ainsi d’augmenter leur espérance de vie. La situation de ces zones dépend généralement bien plus d’une structure de paysages (couverts denses) que de ressources  alimentaires.

 

Etat des connaissances

Historique

L’espèce est connue en Rhône-Alpes dès le Paléolithique moyen (-300 000  à – 45 000 ans) et n’a semble-t-il cessé d’y être présente depuis cette période. L’espèce a été domestiquée au Moyen-Orient au 9ème millénaire avant notre ère et les cochons issus de cette domestication ont été introduits progressivement partout dans le monde. Les sangliers « purs » présentent 36 chromosomes, les porcs « purs » 38 et les croisements entre les deux en ont 36, 37 ou 38 (VIGNE et al. 2003). En dehors de ces données génétiques, c’est surtout l’examen du crâne qui permet de différencier les sangliers des porcs, marrons ou non. Les couleurs très claires présentées par certains individus encore actuellement ne sont pas forcément consécutives à des hybridations entre des porcs et de vrais sangliers (même si cela semble bien le cas ponctuellement comme pour quelques individus éradiqués près d’Oyonnax (01) au printemps 2019) mais peuvent aussi résulter de variations génétiques « normales ».

HAINARD (1988) écrit : «j’ai entendu dire – sans pouvoir le vérifier – que les sangliers avaient commencé à se répandre peu avant 1914 dans le Jura français».

Carte de l'état des connaissances sur le sanglier

Distribution actuelle

Le sanglier est l’un des grands mammifères dont la répartition naturelle est la plus étendue. A travers 16 sous-espèces, celle-ci s’étend de la péninsule Ibérique et de l’Afrique du Nord à l’Ouest jusqu’à l’extrême orient (Japon) à l’Est. Ces sous-espèces se différencient essentiellement par d’importantes variations de taille. En plus, des animaux plus ou moins purs, souvent des porcs marron, ont été introduits en Océanie et en Amérique (dès le 16ème siècle pour ce continent où environ 6 millions d’individus sont présents actuellement dans les seuls Etats-Unis).

En France, l’espèce est présente dans tous les départements continentaux et en Corse. Toutefois, les densités les plus importantes sont signalées dans les départements du quart nord-est et du sud, autour de la Méditerranée et en Corse (ONCFS 2013).

Dans la région Rhône-Alpes, l’espèce est présente dans tous les départements mais avec de fortes disparités locales de densité. L’examen de la carte de répartition montre une certaine rareté de l’espèce tout le long d’un axe Saône-Rhône, région probablement trop urbanisée et trop peu boisée.  En dehors de ce sillon, tous les départements présentent des secteurs apparemment peu favorables à une forte présence du sanglier, généralement en plaine. Ainsi, dans l’Ain, l’espèce est rare à l’ouest d’une ligne Beaupont – Trévoux. C’est aussi le cas en Ardèche au nord d’une ligne Mont Mézenc – La Voulte, dans la Drôme au nord d’une ligne Romans – Montélimar, en Isère à l’ouest d’une ligne Saint-Marcellin – Les Echelles, dans le Rhône au sud d’une ligne Rillieux-la-Pape – Sainte-Catherine (département le plus peuplé de la région) et en Haute-Savoie au sud d’une ligne Faverges – Samoëns.

A contrario, le sanglier montre une présence importante presque partout sur le relief. En bordure orientale du Massif Central, presque tout le département de la Loire (Monts du Lyonnais exceptés) est bien peuplé comme le sont les Cévennes ardéchoises.  Du côté jurassien et alpin, l’espèce est omniprésente dans le Jura méridional et dans une large bande alpine s’étendant du Chablais (74) aux Baronnies (26).

Les populations ont connu dans les deux dernières décennies du 20ème siècle une augmentation rapide des effectifs dans les secteurs d’altitude élevée (Baubet, 1998) même si la présence occasionnelle de l’espèce dans de tels milieux est connue depuis plus longtemps. Ainsi, citant D. Ariagno, Hainard (op.cit.) indique l’observation d’une bande de 10 individus à 3400 m d’altitude sur un glacier du massif du Mont-Blanc (74) à l’automne 1972. Plus récemment, des observations ont été effectuées à 2769 m d’altitude le 5 août 2017 à Champagny-en-Vanoise (73) et à 2963 m le 15 juillet 2017 à Bonneval (73).

Les causes de cette progression ne peuvent être que multiples.

Elles tiennent notamment au développement de grandes cultures (au premier rang desquelles le maïs, le colza,la moutarde, etc.) offrant une grande partie de l’année le gîte et le couvert aux sangliers. Cette offre permet  une première reproduction à un âge moins élevé chez les laies dont on considère qu’elles peuvent être fécondées à partir du moment où leur poids atteint 30 kg. De même,  la fécondité moyenne des laies est réputée s’élever d’un marcassin par 10 kg supplémentaires de masse pondérale. Une alimentation abondante influe donc nettement sur la fécondité de l’espèce.

Un autre des effets de ce développement des grandes cultures est la généralisation d’agrainages dits « de dissuasion ». Pour éloigner les sangliers des cultures à des moments critiques (semis, ‘lait’ des grains de maïs), on les agraine en forêt à une certaine distance (variable selon les arrêtés préfectoraux) des cultures. Ceci augmente la sédentarité des suidés et les incite aussi à des déprédations accrues sur la flore et la faune forestières. L’effet final s’avère pervers à terme puisque cet agrainage contribue à maintenir les effectifs locaux à un niveau important voire à les augmenter.

Le réchauffement climatique constitue également un point favorable pour le sanglier puisqu’il réduit la mortalité hivernale, particulièrement en altitude où la faiblesse de l’enneigement hivernal et de sa durée permettent une bien meilleure accessibilité aux ressources alimentaires. Il autorise aussi une bien meilleure survie des portées nées en automne et en hiver. Il semblerait aussi que ce réchauffement climatique induise une régularité et une abondance des fruits forestiers, particulièrement en zone méditerranéenne.

Sanglier © Mickael Dole

Menaces et conservation

Sanglier, parc de Miribel Jonage © Jean-Marie Nicolas

Les maladies

Mi-juillet 2013, 12 sangliers ont été découverts morts en Ardèche. Ceux-ci présentaient des signes caractéristiques de la maladie de l’œdème chez les suidés domestiques. Il semble qu’il s’agisse de la première détection de cette pathologie chez le sanglier sauvage (DECORS et al., 2015). A l’automne 2018, 22 individus porteurs de cette pathologie ont été découverts dans le massif de Marsanne (Drôme).

La maladie d’Aujeszky est une maladie virale contagieuse, peut-être pas rare chez le sanglier chez qui elle n’entraîne pas de forte mortalité. Les porcs domestiques y sont bien plus sensibles, particulièrement les jeunes porcelets et les contacts entre des animaux domestiques d’élevage et leurs homologues sauvages pourraient entraîner des problèmes sanitaires signalés sporadiquement dans notre pays mais jusque-là bien jugulés. Remarquons que les chiens de chasse peuvent être touchés également s’ils sont nourris avec de la viande non assez cuite des sangliers infectés.

Bien plus inquiétante est la progression en Europe de la peste porcine africaine. Celle-ci, limitée jusqu’alors au continent africain, a fait une première apparition au Portugal en 1957 mais il semble que les deux pays de la péninsule ibérique ont ensuite réussi à la faire disparaître. Elle est réapparue dans les pays d’Europe de l’est au début du 21ème siècle puis a progressé rapidement : Géorgie en 2007, Lituanie en 2014, Tchéquie et Pologne en 2017. Un grand pas (peut-être dû à l’importation de carcasses infectées?) a été fait en septembre 2018 avec son apparition dans le sud de la Belgique. Malgré la création d’un cordon sanitaire, les cas ne cessent de progresser rapidement. En réaction, la France a disposé des clôtures à la frontière sur 112 communes réparties sur 3 départements. Devant l’augmentation des cas, la question n’est plus de savoir si ces barrières empêcheront la traversée d’animaux atteints mais elle consiste plutôt à savoir où et quand la maladie apparaîtra sur le sol français. Les conséquences en sont encore inconnues mais il n’existe pas de vaccin efficace pour cette maladie causant la mort de 100 % des animaux atteints. Il faut penser que la filière porcine nationale déjà atteinte par la concurrence étrangère ne pourrait plus exporter d’animaux issus des régions contaminées. La présence de cette maladie dans des massifs forestiers pourrait aussi totalement remettre en question toute fréquentation humaine de ceux-ci, exploitants forestiers comme simples promeneurs. Enfin, au premier chef, l’existence de populations florissantes de sangliers et donc de l’économie cynégétique qui en découle apparaîtraient alors bien compromises en raison de la mortalité naturelle et de l’abattage d’un grand nombre d’animaux rendu nécessaire pour juguler cette pathologie.

La pression cynégétique

La gestion du sanglier par les chasseurs pose d’évidents problèmes. Confrontée à une érosion, voire à une quasi disparition, du petit gibier sédentaire, la chasse française a failli disparaître et n’a dû sa survie qu’au développement du sanglier. Les chasseurs ont vite compris que seul le maintien de populations de sangliers suffisamment fortes après la fermeture pouvait pérenniser leur loisir.

En dehors de trop nombreux accidents engendrés par l’adaptation par les chasseurs à de nouveaux modes de chasse et d’armes autrement puissantes que de simples fusils, ce développement des sangliers pose d’incontournables questions de sécurité routière, de dommages à l’agriculture, à la flore et la faune sauvages. Il n’apparaît plus concevable que seuls les chasseurs payent les dégâts agricoles (et seulement ceux-ci) et qu’en échange, ils soient pratiquement les seuls gestionnaires de l’espèce. Il faut rapidement prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire les populations de  sangliers avant que celles-ci ne puissent plus être maîtrisées. Mais peut-être est-il déjà trop tard?

La réserve de chasse de l’Etournel-Pougny (01): exemple d’une zone de quiétude

Un suivi de la réserve de chasse de l’Etournel (01), à la frontière franco-suisse, a permis de préciser encore l’occupation de ces zones de quiétude et de formuler des préconisations visant à en réduire l’intérêt pour les sangliers. Pour 67 animaux suivis, il apparaît nettement que les sangliers vivant dans les zones de battues diurnes (France) déplacent leurs domaines de bauges de façon plus conséquente que ceux fréquentant des zones où se pratiquent des tirs de régulation nocturnes (Suisse) avec en moyenne 1000 m contre 500. Ces deux stratégies différent aussi de celle retenue par les animaux établis précédemment dans la réserve qui n’effectuent que de faibles déplacements (200 m en moyenne) du centre de leur domaine de bauge. Il faut aussi noter que les sangliers dont le centre de ce territoire est situé à plus de 2000 m de la réserve ne rejoignent pas celle-ci et semblent donc retenir une autre option. Des battues d’effarouchement effectuées le vendredi et destinées à repousser les animaux vers les zones extérieures où la chasse est surtout pratiquée le week-end provoquent des baisses de densité dans la réserve (de 2 individus à l’hectare avant les battues à 1, voire un peu moins, à l’issue de la 4ème ou 5ème). Par contre, il ne reste plus que 40 % des animaux hors réserve entre le 4ème et le 8ème jour suivant la battue et 20 à 30 % ensuite (TOLON et al. 2007).

Sanglier, Les Vouans, janvier 2017 © Nicolas Balverde

Rédacteur : Alain BERNARD, avril 2019