Mouflon, massif des Bauges, février 2011 © Bernard Frachet

Présentation et description

Mouflons, Haute-Savoie © Christophe Gilles

Le mouflon méditerranéen est une espèce allochtone ayant comme ancêtre sauvage le mouflon d’Asie mineure Ovis orientalis (PASCAL et al. 2006). Il est en fait une forme dérivée et abâtardie du vrai mouflon de Corse, lui-même issu de populations marronnes provenant de la domestication locale du mouflon d’Asie mineure introduit sous une forme domestique dès le VIème millénaire avant J.-C. en Corse et sur le littoral méditerranéen (PASCAL et al., 2006). En France, seule la population marronne de Corse a perduré. C’est à partir de celle-ci mais aussi de mouflons de Sardaigne que cette espèce a été introduite, dès le XVIII ème mais surtout au XX ème siècle, en Europe continentale à des fins cynégétiques (CUGNASSE & HOUSSIN, 1993). Au-delà d’une quinzaine de pays européens, l’espèce a également été introduite en Russie, au Texas, en Californie, à Hawaï ou encore dans les îles Kerguelen.

Le mouflon de Corse Ovis ammon musimon a récemment fait l’objet d’une révision taxonomique par CUGNASSE(1994). Ovis ammon musimon désigne désormais les « vrais » mouflons insulaires avec trois variétés : corsicana pour la Corse, ophion pour Chypre et musimon pour la Sardaigne (terra typica). Le mouflon « continental », compte tenu des croisements dont il a fait l’objet, est dénommé « mouflon méditerranéen » Ovis gmelini musimom x ovis sp.

Le mouflon de Corse et son « dérivé continental » sont les plus petits mouflons constituant le genre Ovis qui occupe différentes régions du domaine holarctique. Ne dépassant pas 50 à 60 kg, il atteint 1,4 mètre de longueur et 0,75 mètre de hauteur au garrot pour les mâles et un peu moins pour les femelles. Au-delà de la stature, le dimorphisme sexuel se manifeste par les cornes imposantes des mâles qui commencent à pousser dès les premières semaines. De section triangulaire à la base, elles se développent en s’enroulant et peuvent atteindre jusqu’à 1 mètre en Europe centrale (CATUSSE & al. 1996). Les femelles développent généralement des cornes ne dépassant pas 15 centimètres (CORTI et al., 1994). Elles peuvent également en être dépourvues. L’acératie chez les femelles est caractéristique des populations issues de Sardaigne.

La robe du mouflon méditerranéen est globalement brun-fauve et varie en fonction des saisons mais aussi de l’origine des populations réintroduites dont certaines ont fait l’objet de croisements avec des races domestiques ou des mouflons exotiques. Certains individus peuvent ainsi présenter des marques et des taches blanches non « conformes » plus ou moins développées. En dehors de ces anomalies, cette couleur blanche est généralement présente sur les membres et sur le ventre. Elle est également présente chez les mâles adultes sur la partie centrale du dos et des flancs, évoquant une « selle ». Les mâles présentent en outre des marques noirâtres sur le poitrail qui peuvent s’étendre sur d’autres parties du corps, en particulier sur la partie supérieure des membres.

Le mouflon est une espèce grégaire. La cellule sociale de base est composée d’une femelle accompagnée de son agneau de l’année et de son jeune de l’année précédente. L’importance des groupes varie en fonction de différents paramètres : taille de la population, saison, type de milieu. Les groupes mixtes (mâles et femelles) sont la norme en automne (période du rut) et en hiver. Les mâles sont polygames. Le rut a lieu en octobre et novembre. La gestation dure environ 5 mois et les naissances s’étalent entre la fin mars et le début mai. La femelle met bas un seul agneau qu’elle allaite durant environ trois mois. La maturité sexuelle intervient généralement au cours du deuxième automne. L’indice de reproduction est largement corrélé aux contraintes environnementales. A titre d’exemple, il était en moyenne de 0,56 entre 1983 et 2015 dans la réserve nationale de chasse des Bauges (ONCFS & ONF, 2016). Cet indice est à comparer à celui du chamois qui était de 0,8 pour la même période.

De par ses lointaines origines « orientales » (Anatolie, Iran, …) le mouflon est une espèce a priori adaptée aux régions où le relief est présent sans pour autant être particulièrement escarpé (il est nettement moins agile et résistant que le chamois à cet égard) et où les précipitations ne sont pas trop importantes notamment sous forme neigeuse. Les différentes introductions ont néanmoins montré qu’il était capable de s’adapter à de nombreux types de milieux et à des altitudes très variées. En France, il est ainsi présent du niveau de la mer à 2800 mètres dans les Alpes. Mais c’est dans l’étage montagnard qu’il est le mieux représenté. Toutefois l’arrivée du loup a fixé certaines limites à cette plasticité et les populations introduites dans les Alpes à des altitudes élevées et donc soumises à des enneigements importants ont été fortement impactées.

Une mosaïque paysagère, alliant prairies, pelouses, landes et forêts lui convient parfaitement. D’après l’ONCFS, les milieux forestiers représenteraient 44% des milieux fréquentés (dont 15 % de feuillus et 21 % de conifères).

Même si son régime alimentaire peut être très varié (phanérogames, fougères, champignons, mousses et lichens), la base de ce régime est constituée de plantes herbacées, de feuilles d’arbustes et de buissons. Associé à d’autres espèces de grands herbivores, il peut participer au maintien de l’ouverture de certains milieux. Mais sans cette association, son impact est considéré comme insuffisant à cet égard. Sur le domaine de la Peyroutariée, propriété de l’ONCFS dans le massif de l’Espinouse (34), les chevaux « Tarpan » ont été introduits à cet effet et cohabitent avec le mouflon.

Etat des connaissances

Historique

La présence du mouflon méditerranéen en France continentale découle de nombreuses introductions effectuées après la seconde guerre mondiale à partir d’enclos d’acclimatation comme celui de Cadarache ou du parc de Chambord. Les premiers lâchers en milieu naturel, à vocation cynégétique, auront lieu en 1949 dans le massif du Mercantour afin de « remplacer » les espèces autochtones de grand gibier quasiment disparues. L’expansion de l’espèce découlant des introductions s’est opérée principalement dans les massifs montagneux du sud de la France bien que l’espèce puisse également s’adapter à certains milieux de plaine, notamment dunaires.

Les réserves nationales de chasse des Bauges (premiers lâchers en 1954) et du Caroux-Espinouse (premiers lâchers en 1956) deviendront les principaux réservoirs pour les introductions ultérieures à partir de la fin des années 60 (CUGNASSE & HOUSSIN, 1993). Le massif du Caroux et ses alentours concentre aujourd’hui la plus importante population de France. En 1995, dernière enquête nationale, 65 populations avaient fait souche. Elles étaient réparties sur 25 départements. Elles occupaient 0,67% du territoire national (non compris la Corse), soit environ 3 666 km². 88 % des effectifs étaient situés dans les régions PACA, Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes.

Bien que les introductions aient été beaucoup moins nombreuses à partir du XXI ème siècle et que l’espèce soit généralement considérée comme ayant naturellement un faible pouvoir colonisateur, l’aire de distribution du mouflon méditerranéen en 2010 s’étend sur 4400 km2, soit 0,8 % du territoire national (84 zones de présence réparties sur 450 communes et 25 départements). L’effectif minimal présent en France est estimé à 20.000 individus après naissances et avant chasse soit 3,2 fois plus qu’en 1988 ! L’aire de présence se situe pour 68 % dans les Alpes, 16 % dans le Massif central, le Haut-Languedoc et le Périgord, 15 % dans les Pyrénées et 1 % dans la Somme et les Ardennes. Son expansion s’est toutefois ralentie, voire stoppée, aujourd’hui sous l’effet de plusieurs facteurs. Ainsi les « tableaux de chasse ongulés sauvages » publiés chaque année par l’ONCFS (supplément à la revue Faune Sauvage) laisse apparaître une stagnation des effectifs à partir de 2012 (3484 mouflons tirés pour 3251 en 2018).

Deux facteurs principaux peuvent expliquer cette stagnation. D’une part, l’expansion des populations d’ongulés autochtones et la difficulté de réaliser certains plans de chasse concernant ces espèces ont fortement limité voire arrêté les nouveaux projets d’introduction du mouflon. D’autre part l’arrivée du loup a impacté notablement les populations de mouflons en particulier dans les secteurs peu adaptés où la couverture neigeuse s’est avérée un handicap important pour le mouflon.

Carte de l'état des connaissances sur le mouflon méditerranéen

Distribution actuelle

En Rhône-Alpes, 14% des mailles (52 sur 381) sont pointées pour l’atlas. Néanmoins, on peut considérer que la superficie réellement occupée par l’espèce est largement inférieure à ce pourcentage.

Le mouflon méditerranéen est présent dans les départements alpins, de la Haute Savoie à  la Drôme. L’espèce est particulièrement bien implantée dans les départements savoyards. A partir de la population introduite dès 1954 dans la réserve nationale de chasse des Bauges (à cheval sur les deux départements), une dizaine de populations ont été constituées par introduction et deux se sont formées par essaimage spontané (données 2010). L’espèce est également bien implantée en Isère avec une dizaine de populations provenant également des Bauges (Tabor, Chartreuse, …) ou d’autres origines (Belledonne, Vercors oriental, …) ou encore s’étant constituée spontanément (Taillefer). Dans la Drôme, deux zones de présence apparaissent. La première est située dans le Vercors (forêt de Lente), avec probablement des échanges avec la population présente dans la partie iséroise du massif, et dans les Baronnies à l’extrême sud du département (extension de la population présente dans le Ventoux).

Sa présence dans la Loire reste anecdotique. Une introduction sur deux secteurs du Forez côté Puy de Dôme (communes d’Ambert et d’Arconsat) avait été tentée en 1972 et 73. Ces tentatives n’ont pas été poursuivies et ont échoué. Récemment, deux données ont été collectées au Nord-Ouest du massif du Pilat, non loin de la vallée du Gier. Elles correspondent à un petit groupe de 4 mouflons observé durant l’hiver 2017 mais qui semble ne pas avoir été recontacté en 2018 et dont la pérennité reste donc aléatoire. La provenance de ces animaux s’avère énigmatique et probablement sans rapport avec une dispersion naturelle à partir des populations bien implantées en Auvergne (massif du Sancy et monts du Cantal). Par ailleurs, l’espèce n’est pas présentée dans les parcs zoologiques de la région (Saint Martin la Plaine ou Peaugres) qui ne peuvent donc être considérés comme une « source » possible.

L’analyse des données altitudinales permet de situer l’altitude moyenne où l’espèce a été rencontrée en Rhône-Alpes à 1130 mètres (N = 2469) et confirme la large amplitude altitudinale des sites fréquentés par le mouflon méditerranéen qui atteint 2546 mètres en Isère avec une altitude maximale de 2790 mètres pour le même département.

Mouflon, massif des Bauges, Savoie, janvier 2011 © Bernard Frachet

Menaces et conservation

Mouflon, Matheysine, Isère, janvier 2012 © Loïc Nowak

En tant qu’espèce (ou sous-espèce) introduite principalement à des fins cynégétiques, le mouflon méditerranéen n’a pas de statut de protection contrairement au mouflon de Corse stricto sensu. Elle est sans statut dans la Directive Habitats. Elle n’est pas traitée dans la liste rouge des mammifères de France en 2017, non évaluée en 2008 dans la liste rouge mondiale, pas plus que dans la liste rouge régionale rhônealpine la même année (DE THIERSANT &t DELIRY, 2008). Elle est toutefois présente en annexe III de la convention de Berne sans distinction entre la « variété » continentale et les formes insulaires. Cette situation conduit ARIAGNO (2010) à ne pas considérer l’espèce comme devant être prise en compte dans les grands traits de l’évolution du peuplement des mammifères de Rhône-Alpes depuis 40 ans (1960 – 2010).

Contrairement à ce qui est la règle pour une espèce patrimoniale, les risques de pollution génétique découlant de croisements avec une forme domestique voisine ne sont pas réellement pris en compte dans le cas du mouflon méditerranéen. Les hybridations avec le mouton domestique sont assez régulièrement observées.

En Rhône-Alpes, l’espèce est soumise à un plan de chasse dans chaque département où elle est présente. Après une période d’expansion à partir des premières réintroductions dans les années cinquante, elle a plus récemment marqué le pas sous l’effet de divers facteurs (cf. supra). En particulier, l’arrivée du loup a largement impacté les populations alpines comme celles du Vercors. On observe toutefois une adaptation progressive du comportement du mouflon face à ce prédateur initialement inconnu (VAN OYE, 2014).

Le mouflon méditerranéen est souvent perçu dans la sphère naturaliste comme une espèce sans intérêt, voire indésirable, du fait de ses origines para-domestiques et exotiques, des croisements dont certaines souches ont fait l’objet et de sa vocation principalement cynégétique. Pour ce qui est de ses origines, elles sont également celles de son « fondateur », le mouflon de Corse qui, a contrario, fait l’objet d’une protection et d’un suivi assidu (procédure d’inscription sur la liste nationale des espèces protégées en cours).

Sur le plan génétique, le mouflon méditerranéen malgré ses réelles « imperfections » pourrait toutefois s’avérer un recours au cas où l’avenir des populations insulaires d’intérêt patrimonial ne pourrait être garanti (le questionnement est réel pour le mouflon de corse dont les faibles populations stagnent depuis de nombreuses années). La situation de la forme originelle Ovis orientalis n’est pas non plus excellente dans son aire d’origine.

Concernant son statut d’espèce exogène et donc de son illégitimité supposée dans nos espaces naturels, il convient de rappeler qu’une forme voisine, Ovis antiqua  a longtemps été présente en Europe occidentale, et donc en France, durant le pléistocène moyen et que l’appauvrissement considérable de la grande faune qu’a connu l’Europe durant l’Holocène (après la dernière glaciation) n’est probablement pas un phénomène entièrement « naturel » mais largement influencé par un nouveau « super prédateur » arrivé depuis peu, Homo sapiens. Il n’est donc pas aberrant d’imaginer que dans un « autre contexte » le mouflon d’Asie mineure aurait pu recoloniser l’Europe, y compris occidentale. En tout état de cause, la présence d’au plus quelques milliers d’ovins sauvages sur le territoire ne saurait remettre en question l’équilibre écologique de celui-ci. A fortiori si l’on considère que plusieurs centaines de milliers d’ovins, domestiques cette fois, sont acceptables.

En dernier ressort, le mouflon méditerranéen ne constitue pas une espèce patrimoniale et de nouvelles introductions ne paraissent pas justifiées alors que les espèces d’ongulés autochtones sont en expansion. Néanmoins, étant donné le faible pouvoir de dispersion de l’espèce, les populations déjà introduites dans de bonnes conditions (milieux adaptés) et aujourd’hui bien acclimatées ne présentent pas une menace pour les écosystèmes. Dans certains cas, elles peuvent, au contraire, constituer un sujet d’étude intéressant quant à l’efficience et la complémentarité écologique d’une guilde enrichie d’herbivores sauvages. Enfin, l’arrivée du loup offre au mouflon, si l’on peut dire, un rôle nouveau et intéressant au sein d’un écosystème encore trop perturbé par le déficit de proies sauvages au regard de l’abondance des proies domestiques.

La réserve des Bauges

Créée en 1913 à l’initiative de l’administration des Eaux et Forêts (futur ONF) sur terrains domaniaux pour freiner l’effondrement des populations de chamois, la réserve de chasse domaniale devient réserve nationale de chasse en 1955. Son statut actuel date de 1995. La réserve nationale de chasse et de faune sauvage est gérée par trois organismes institutionnels, l’Office National des Forêts, l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) et le Parc Naturel Régional du Massif des Bauges. Chamois et mouflons y sont suivis depuis a minima 25 ans et des données existent pour le mouflon méditerranéen depuis plus de 50 ans (Julien et al, 2009). Pour suivre cette population, la méthode du pointage flash est utilisée (HOUSSIN et al, 1994).

Avec celle du Caroux, la réserve des Bauges a été l’une des deux principales pourvoyeuses de mouflons pour les opérations d’introduction en France. A partir de l’introduction de 10 mâles et de 6 femelles en provenance du parc de Chambord en 1954 et 55, et malgré les pertes importantes qui ont suivi ces introductions (6 mâles et 1 femelles), la population des Bauges pourra se développer et fournir 391 mouflons introduits de 1960 à 1992 sur une dizaine de sites en France, principalement dans les Alpes (CUGNASSE et HOUSSIN, Op.cit.). Après la période des prélèvements réguliers, on observe une augmentation de la densité dans les noyaux établis ce qui entraîne à nouveau une dispersion d’individus qui reste cependant moins intense qu’en début de période de colonisation. Ceci est d’autant plus vrai que le mouflon méditerranéen est une espèce à haut à niveau de ségrégation sexuelle et marque fortement sa fidélité au lieu de naissance.

D’après JULIEN et al. (Op.cit.), cette espèce, très farouche dans les Bauges, recherche au printemps, en été et en automne des zones de repos dans les pierriers d’altitude bien drainés, en pied de falaises, peu fréquentés par les humains et offrant des conditions de sécurité maximales (grand champ de vision, protection des falaises en amont, voies de fuite en aval). Aujourd’hui, le suivi du mouflon dans les Bauges fait partie de programmes pluri-spécifiques et multi-critères ce qui permet d’intéressantes études comparatives.

Rédacteurs : Marc MICHELOT et Olivier IBORRA, décembre 2018