Présentation et description
A l’Ouest de l’Europe, le genre Rupicapra comprend deux espèces : Rupicapra rupicapra (Alpes et Préalpes, Massif central, Jura et Vosges) et Rupicapra pyrenaïca (chaîne pyrénéo-cantabrique et Apennins). En France, on désigne Rupicapra rupicapra sous le terme de chamois et Rupicapra pyrenaïca est appelé isard.
Selon son âge, le chamois change de nom. Le jeune avant l’âge de 1 an (sommet des cornes au-dessous de l’extrémité des oreilles) s’appelle un cabri (ou chevreau) ; le jeune de 1 à 2 ans (cornes arrivant plus au moins à la hauteur des oreilles) est nommé « éter » (« éterle » s’il s’agit d’une femelle et « éterlou » pour le mâle). Lorsque les cornes dépassent nettement la taille des oreilles, on parle simplement de chamois mâle adulte et de chamois femelle adulte.
L’allure générale du chamois évoque celle d’une chèvre « chamoisée » aux cornes très sombres, d’une taille de 70 à 80 cm au garrot, pesant en moyenne 40 à 45 kg, avec un dimorphisme sexuel en faveur des mâles. Les chamois changent de pelage 2 fois au cours de l’année. En été, le poil est court, d’un marron clair tirant sur l’orange. L’hiver, la fourrure devient épaisse et très sombre, carrément noire chez beaucoup d’individus. En février/mars, le pelage qui mue prend une teinte claire, gris cendre avec des reflets bleutés qui varient selon l’éclairage (lilas, mauve…).
Il n’est pas facile de reconnaître, même à travers des jumelles, un mâle d’une femelle : c’est difficile en dessous de 2 ou 3 ans, sauf bien sûr au moment du rut ou lorsque l’individu urine (la femelle fléchit très nettement les postérieurs et le jet d’urine est dirigé en arrière). Après trois ou quatre ans, les différences s’accentuent : les mâles sont plus trapus, leur cou est plus large ; en hiver ils arborent une crinière épaisse (absente chez la femelle), les cornes sont plus larges à la base et le crochet est plus refermé (ce dernier critère n’est pas absolument discriminant…). Chez le mâle adulte, lorsque l’animal est vu de profil, l’observation attentive du dessous du ventre permet de repérer la présence du pinceau pénien. Le chamois quel que soit son âge ou son sexe, ne peut se confondre avec aucune autre espèce sauvage.
Le chamois est une espèce chassable (arrêté ministériel du 26 juin 1987, modifié par celui du 15 février 1995) à travers un plan de chasse rendu obligatoire sur tout le territoire national à partir de 1989.
Contrairement à un préjugé répandu, le chamois n’est pas lié à la haute montagne. Seul compte pour lui la proximité de zones refuges escarpées et… la tranquillité. En Rhône-Alpes, on peut observer des chamois depuis les garrigues provençales drômoises jusqu’aux pelouses alpines ; des collines de la vallée du Rhône, à 200 m d’altitude, au bord des grands axes routiers, jusqu’aux sommets enneigés des grandes Alpes, à plus de 3000 m.
Contrairement à un autre cliché tout aussi répandu, le chamois est d’un naturel peu farouche. Peu ou pas chassé, il s’accommode très bien de la présence humaine. C’est la prédation humaine (chasse et braconnage) qui, en éliminant les individus les plus confiants, donne aux chamois les plus farouches un « avantage sélectif »…
Par le jeu de la génétique et du comportement (l’acquis et l’inné), la chasse aboutit, en quelques années, à la création d’une population de chamois inapprochables, cantonnés dans des territoires difficiles d’accès (sommets de montagne, zones escarpées d’altitude…).
La maturité sexuelle du chamois se situe entre 2 et 3 ans. La période de rut débute généralement en novembre et, pour un territoire donné, se prolonge environ un mois. Les mises bas ont lieu généralement en mai et se poursuivent jusqu’à la mi-juin. En Drôme, il n’est pas rare d’observer des cabris qui, manifestement, sont nés à contretemps, en été ou en hiver. En avril, les femelles adultes gravides se retirent pour mettre bas dans des zones calmes et d’accès difficile. Dans la Drôme, ces « maternités » peuvent regrouper jusqu’à 10 femelles. L’occupation des « maternités » et de leur environnement immédiat est variable selon les territoires : de 2 à 4 semaines à plus de 2 mois (observations de l’auteur à propos de 2 « maternités » situées dans le Diois et le Vercors sud). Les femelles ne donnent naissance qu’à un seul cabri. Si le sevrage intervient généralement en octobre/novembre, des tétées plus ou moins efficaces peuvent être observées jusqu’en décembre/janvier.
Si, pour les chamois, le « 3ème âge » commence vers 10 ans, cette espèce possède une longévité théorique exceptionnellement élevée : jusqu’à 25 ans…
Chez les chamois adultes, l’instinct grégaire ne se manifeste que chez les femelles et s’il arrive que certains mâles se regroupent momentanément, ces associations sont rares et comptent généralement moins de trois individu.
Pour un même territoire, la taille et la composition des hardes matriarcales varient en fonction de la saison. Elles sont composées des femelles accompagnées de leurs cabris auxquelles peuvent se joindre quelques individus de moins de 3 ans et, parfois, 1 à 2 mâles adultes. Chez le chamois, la taille des hardes matriarcales est inversement proportionnelle à la pression de chasse : la rareté (où l’absence) de hardes matriarcales de plus de 5 individus adultes signe généralement une pression de chasse forte.
En phase de colonisation le taux d’accroissement annuel naturel peut dépasser les 20 %. Aujourd’hui, l’essentiel des Alpes et Préalpes n’est plus en phase de colonisation et le taux d’accroissement naturel annuel des populations de chamois se situe probablement plus près de 10 % (particulièrement en zone supra ou méso-méditerranéenne) que de 20 %.
Etat des connaissances
Historique
Les ancêtres du chamois sont probablement originaires d’Asie. Ils ont atteint le sud-ouest de l’Europe il y a 300 000 ou 400 000 ans (fin de la glaciation alpine du Mindel).
Si l’histoire évolutive du genre Rupicapra fait encore débat, il semble que les premiers Rupicapra qui ont colonisé l’Europe de l’ouest appartenaient à l’espèce pyrenaïca. Lors de la dernière glaciation (Würm, -70000 à -20000), une autre lignée du genre Rupicapra provenant de l’Est/Nord-Est a colonisé l’aire occupée par pyrenaïca pour donner naissance au taxon rupicapra. Cette dernière colonisation aurait ainsi absorbé pyrenaïca à l’exception des Pyrénées et des Apennins.
En France, à l’époque préhistorique (Mésolithique et Néolithique), la présence du genre Rupicapra est attestée dans le Jura, les Alpes, le Massif central, la Provence et les Pyrénées. Dès le Mésolithique, les préhistoriens mettent en évidence une contraction de l’aire de répartition du chamois, probablement sous l’effet de la chasse, comme par exemple en Provence occidentale où il semble avoir été totalement éliminé à la fin du Néolithique (3000 ans avant J.-C.) (CREGUT-BONNOURE, 1995).
Au début de l’aire chrétienne, il semble que l’homme ait éliminé le chamois, du Massif central, des Vosges et du Jura, limitant l’aire de distribution aux Alpes internes et à quelques hauts massifs préalpins satellites (Pascal et coll. in CORTI, 2003, WEBER, 2001).
Au cours des derniers siècles, l’évolution des effectifs et de l’aire de distribution du chamois est peu ou pas documentée.
En dehors des Alpes internes, il est possible que quelques individus se soient maintenus sur quelques hautes montagnes préalpines, comme dans le nord-est drômois : dans le Haut-Buëch ou sur la bordure est du Vercors (MATHIEU, 1996).
En 1964, COUTURIER détaille la répartition du chamois en France : l’espèce est présente dans les sept départements alpins, le Jura (où, selon lui, l’espèce est rare et pas fixée avec certitude) et les Vosges où le chamois a été réintroduit à partir de 1956.
Distribution actuelle
Dans les dernières décennies du XXème siècle, profitant de la nouvelle réglementation encadrant la chasse, d’une meilleure répression du braconnage et de la création de réserves non chassées, les chamois ont pu mettre à profit leur potentiel de dispersion et recoloniser les zones de piémont des hautes montagnes alpines où la pression anthropique l’avait cantonné depuis, au minimum, deux millénaires.
En Rhône-Alpes, à l’exception du Rhône, de l’Ardèche et de la Loire, les autres départements abritent des populations de chamois, avec par ordre décroissant : la Savoie, la Haute-Savoie, l’Isère, la Drôme et l’Ain.
Il est impossible de connaître le nombre de chamois vivant dans une zone géographique donnée. Seules des estimations peuvent être proposées.
En se basant sur des populations qui ont dépassé le stade de colonisation (taux d’accroissement annuel avant chasse estimé entre 10 à 15 %) et le tableau de chasse pour Rhône-Alpes (6749 individus en 2017), on peut estimer, par une simple règle de trois, que la population de chamois présents en Rhône-Alpes est de l’ordre de 52 000 chamois plus ou moins 7000… La validité des chiffres fournis par chaque bénéficiaire de plan de chasse n’ayant pas été établie, ces calculs sont à prendre avec précaution.
Menaces et conservation
La pression cynégétique
Au delà de toute posture idéologique, la chasse constitue bien le facteur de mortalité le plus important qui touche les populations de chamois : aucune pathologie, aucun autre facteur de mortalité connu, n’élimine, chaque année, autant de chamois et de manière uniforme sur l’ensemble de l’aire de distribution.
L’évolution à long terme des tableaux de chasse peut donner une indication sur l’évolution des effectifs de chamois.
Au niveau national depuis 10 ans, concernant le chamois, le tableau de chasse est sensiblement stable avec une légère baisse du taux de réalisation depuis 2015 (sources : ONCFS ; en particulier ONCFS 2018). Dans l’ex région Rhône-Alpes, l’analyse des tableaux de chasse, département par département, montre une légère tendance à la baisse (baisse très marquée pour le département de l’Ain ?) (source : grands ongulés-tableaux de chasse départementaux).
La stabilisation des effectifs par la chasse ne signifie pas que l’espèce est « bien gérée » et qu’elle a atteint l’effectif optimal par rapport aux potentialités offertes par les milieux. Seule la méthode des ICE (voir encart ci-dessous), dont la mise en œuvre balbutiante est loin d’avoir fait ses preuves, pourrait permettre de savoir si les effectifs de chamois sont conformes à ce que les milieux peuvent offrir.
En Rhône-Alpes, il se tue un peu moins de 7000 chamois chaque année (6749 chamois tués en 2017) et plus de 95 % des chamois tués en Auvergne-Rhône-Alpes le sont en Rhône-Alpes. Si l’on considère l’ensemble des Alpes et Préalpes françaises : 6 chamois sur 10 sont tués dans la Région Rhône-Alpes.
Il existe des zones, localisés essentiellement à basse altitude, où les chamois peuvent provoquer des dommages aux forêts de production ou aux cultures. Compte tenu du niveau, très faible à négligeable, de l’impact des chamois sur la production forestière ou agricole, on peut raisonnablement penser qu’il se tue entre dix et vingt fois plus de chamois que ce qui serait nécessaire à la prévention légitime des dommages économiquement significatifs.
La chasse au chamois est essentiellement une chasse de divertissement, doublée par un exercice commercial très lucratif.
Les chasseurs mettent en avant un second argument selon lequel une espèce ne doit jamais saturer son milieu, au risque de produire des individus aux caractères biométriques imparfaits et au dynamisme démographique ralenti.
S’il n’est pas contestable que la saturation des milieux produit bien les effets mentionnés, cette évolution est naturelle et liée directement au concept de « densité-dépendance ». En dehors de toute intervention humaine, les maladies, les accidents, la baisse du taux de reproduction et la pression exercée par les prédateurs (aujourd’hui le lynx et le loup) se chargent de maîtriser l’évolution démographique de l’espèce en maintenant les effectifs à des niveaux de densité qui oscillent autour de la limite de saturation du milieu.
La vision « eugénique » des chasseurs découle du dogme de « la gestion ». Elle ne possède aucun fondement biologique et se place dans une perspective uniquement cynégétique : les faibles densités stimulent la reproduction et engendre des animaux plus « beaux ». Deux éléments qui offrent aux chasseurs des tableaux de chasse plus intéressants, en quantité et qualité.
Plus prosaïquement : la chasse au chamois étant aussi une activité commerciale, plus l’espèce est rare, plus la demande est forte et les gains garantis et confortables.
Sans la démonstration, qui reste à faire, de l’utilité de la chasse au chamois pour la conservation de l’espèce, le recours « à la gestion » vue comme une nécessité, restera un dogme.
Les maladies
Sans surprise, le chamois, peut être victime de plusieurs pathologies infectieuses ou parasitaires. La kérato-conjonctivite infectieuse – KCI (maladie infectieuse provoquée par une bactérie) et la gale sarcoptique (provoquée par un acarien) figurent parmi les pathologies les plus sérieuses en termes de mortalité.
Sans entrer dans des détails, la KCI tue entre 10 et 20 % des chamois présents dans la population touchée et laisse persister une immunité chez les survivants. Après le passage de l’épizootie, les effectifs se reconstituent en une dizaine d’années (GAUTHIER, 2012).
La gale sarcoptique n’est pas connue en France,
Si les épizooties de KCI impliquent un taux de mortalité comparable à celui provoqué par la chasse, elles n’en ont pas le caractère généralisé et répétitif des prélèvements cynégétiques et n’affecte pas, où très peu, la dynamique de la population à long terme.
La prédation
En haute montagne et particulièrement dans les zones non chassées comme les parcs nationaux, l’affaire est entendue. L’arrivée du loup et son installation a un impact négligeable sur les populations de chamois et des ongulés en général.
Dans les secteurs de basse altitude colonisés depuis une vingtaine d’année par les chamois, il n’existe pas de travaux, publiés ou en cours, concernant l’impact des loups sur les populations de chamois.
Nous en sommes réduits à émettre quelques hypothèses.
En l’absence de grands prédateurs et lorsque la pression de chasse est faible à modérée, les chamois s’éloignent des zones refuges traditionnelles à fort dénivelé (falaises, éboulis, gorges…) pour s’aventurer dans des milieux découverts plutôt plats et dans lesquels ils restent très vulnérables à la prédation. Dans ces conditions, il est probable que l’arrivée des loups s’accompagne d’une modification de la répartition spatiale des chamois en les obligeant à regagner les zones traditionnelles fortement escarpées et qu’ils ne quitteront plus.
Concernant l’impact du loup sur les effectifs de chamois de basse altitude (impact quantitatif), il est impossible, actuellement de se prononcer, même si le scénario « haute montagne » paraît plausible (peu d’impact à long terme sur les effectifs, après adaptation comportementale des chamois).
Le dérèglement climatique
Dans le sud de l’aire de répartition du chamois, il est probable que les modifications climatiques, enregistrées depuis une dizaine d’années, se poursuivent et s’amplifient. Comment le chamois va réagir aux épisodes répétés de canicules, de sécheresses estivales et à l’impact de ces phénomènes sur la végétation ? Aujourd’hui, Il est impossible de répondre.
Plan de chasse chamois : le leurre des « Indicateurs de changement écologique (ICE) » ?
Depuis une dizaine d’années, l’ONCFS travaille sur la mise au point d’une méthode de suivi des populations d’ongulés sauvages qui fait appel au concept de densité-dépendance et qui constituerait une alternative aux traditionnels comptages jugés trop lourds à organiser et manquant de justesse et de précision. Cette méthode est désignée sous le terme de méthode des « Indicateurs de Changement Écologiques » (ICE).
Le protocole de mise en œuvre des ICE varie selon les espèces. Trop complexe pour être développé ici, il se compose de trois volets :
– volet « abondance » : recueil d’indices d’abondance de l’espèce sur un territoire donné, par exemple par des comptages sur itinéraires
– volet « biométrie » : évaluation de l’état de santé de la population à travers des mesures effectuées sur des individus tués à la chasse
– volet « pression sur la végétation » : mesure de l’impact de la population étudiée sur la flore présente (indices de consommation et indices d’abroutissement).
La séduisante démarche scientifique des ICE, précise et rigoureuse, ne supporte pas l’amateurisme. La mise en œuvre des ICE par les associations locales de chasse, juges et partie, sans rigueur et sans supervision, ne peut-être qu’un leurre, une illusion de « gestion adaptative » particulièrement dangereuse pour l’avenir des populations de chamois. D’autant plus dangereuse que désormais, ce sont les chasseurs qui vont se substituer aux préfets pour fixer, eux-mêmes et sans contrôle extérieur, le niveau des plans de chasse.
Exemple d’un cas concret de mise en œuvre en Rhône-Alpes qui inquiète et laisse perplexe …
La Fédération des chasseurs de la Drôme (FDC 26) pratique la méthode des ICE « chamois » depuis 2013 sur la trentaine de groupements de gestion cynégétiques (GGC) qui abrite l’espèce.
La publication du bilan de ces ICE en commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS 2018) a de quoi laisser perplexe.En effet, le document de la FDC reste muet sur la mise en œuvre du protocole ICE, en particulier sur l’échantillonnage du territoire des GGC pour établir les points d’observation ou les itinéraires. Les indices d’abondance sont établis à partir d’un protocole non validé pour le chamois (Indice ponctuel d’abondance, IPA) et le troisième volet des ICE, chargé d’établir l’impact des chamois sur la végétation, n’existe pas. Cela rend difficile, voire impossible toute analyse des autres indicateurs dans le cadre d’une démarche cynégétique.
Et tout ceci, sans compter la présence d’un conflit d’intérêt manifeste induit par le fait que tous les indicateurs qui servent à fixer le nombre d’animaux à tuer annuellement sont établis, sans contrôle extérieur, par les chasseurs locaux, ceux là mêmes qui bénéficient du plan de chasse…
Rédacteur : Roger MATHIEU, février 2019