Lapin de garenne, Loire, avril 2011© Vincent Miquel

Présentation et description

Lapin de garenne, Grenoble, juin 2015 © Géraldine Le Duc

Le lapin de garenne Oryctolagus cuniculus (Linné, 1758) ne présente pas de dimorphisme sexuel. Ses mensurations sont les suivantes : longueur tête + corps : 40 -45 cm ; queue : 6 cm ; oreille : 7 cm ; poids : 1 – 2,5 kg (HAINARD, 1997). Il peut être éventuellement confondu avec le lièvre d’Europe, mais celui–ci est plus grand et plus gros. Ce dernier possède des pattes et des oreilles plus longues dont la terminaison est noire. Connue depuis la -3,4 million d’années (+/-0,05 Ma) une seule espèce de lapin de garenne est présente en France. Il n’y a pas de sous espèces. Dans notre pays, le lapin de garenne est une espèce autochtone du sud de la France continentale. Chassable, il peut être classé comme espèce « susceptible de commettre des dégâts », sur l’ensemble du territoire métropolitain. Ce classement est généralement local et il peut n’exister, dans certain cas, que sur une partie d’une commune. Ses statuts de conservation donnés par les listes rouges varient. Il est considéré comme quasi menacé, à l’échelle mondiale, dont la France mais reste classé vulnérable en Rhône – Alpes depuis 2008. Il ne bénéficie d’aucun statut de protection aux termes de la Directive Faune Flore Habitats, ni de la Convention de Berne.

En Europe, les lapins les plus gros, du nord de l’Europe (de la Scandinavie jusqu’à la région parisienne) se reproduisent plus tard mais plus longuement, jusqu’à 180 jours, voire plus, en comparaison de ceux, de taille moindre, du sud de l’Europe (de la Camargue à l’Andalousie) qui ne semblent guère dépasser 90 jours pour leur reproduction (ROGERS et al. in THOMSON & KING, 1994). Comme ailleurs, le cycle annuel est, en Rhône-Alpes, conditionné par les caractéristiques bioclimatiques et la reproduction peut s’étaler sur 6 à 7 mois. La durée de gestation est comprise entre 28 et 32 jours. Les jeunes sont sevrés et indépendants à 4 semaines. Les femelles peuvent être fécondées juste après la mise bas, l’ovulation étant déclenchée par l’accouplement (MAC DONALD et BARRETT, 1995). La taille des portées est de 4 à 5 lapereaux en moyenne. Les premières mises bas interviennent dès février, les dernières en août, parfois en septembre, le maximum a lieu d’avril à juin. Des femelles nées en début de saison de reproduction peuvent se reproduire à partir du mois de juillet, les autres ne le faisant qu’à partir de l’année suivante. Les différences biogéographiques marquées entre le sud et le nord et l’est et l’ouest de Rhône-Alpes influencent la phénologie des populations.

Dans le nord de Rhône-Alpes, les premiers jeunes semblent apparaître moins précocement mais les derniers sont également plus tardifs. Ainsi, dans l’Ain, depuis 2011, les mois de mai et juin sont ceux qui concentrent le plus de mentions de jeunes animaux et ceux-ci deviennent rares en juillet. A l’opposé, un juvénile a été observé à Château-Gaillard le 25 janvier 2012. Ces observations, basées actuellement sur un nombre trop peu important de données, devront être confirmées.

Dans le sud de notre région, des jeunes peuvent apparaître fin janvier-début février. La dessication estivale entraînant une réduction du taux de protéines dans une alimentation déjà naturellement pauvre, la saison de reproduction peut s’interrompre assez vite durant l’été. Il est probable que dans le sud de l’Ardèche et la Drôme provençale, les modalités de reproduction soient voisines ou identiques à celles des populations méditerranéennes marqués par une interruption estivale de la reproduction puis une reprise automnale, liées aux conditions climatiques et à l’absence de nourriture. La encore, ces modalités seraient à confirmer. Le réchauffement climatique pourrait à terme avoir une incidence forte sur la reproduction de l’espèce. En l’état actuel des données en notre possession il nous est impossible d’estimer les densités réelles des populations. Espèce grégaire, l’organisation sociale est très développée aussi bien chez les mâles que chez les femelles. Les groupes familiaux implantés dans les 10 hectares autour de la garenne principale sont généralement composés de 8 à 12 individus. Ceci amènerait la densité théorique possible actuelle à 1,5 – 2 lapins adultes par hectare, avant mise bas, dans les milieux les plus favorables.

Autrefois, les lapins étaient tellement nombreux qu’ils n’avaient que peu à craindre de la pression cynégétique ou du braconnage. De même, les inondations dues aux crues des cours d’eau ne présentaient que des incidences temporelles et spatiales limitées quoique parfois spectaculaires. Ainsi, à titre d’exemple, lors de ces épisodes, dans la basse vallée de l’Ain encore, des lapins trouvaient refuge sur des tas de bois voire même sur des saules ou des frênes têtards alors fréquents dans le paysage rural.

Etat des connaissances et évolution

Historique

Avant toute chose, il est utile de rappeler ici que l’espèce est, depuis le début du 21ème siècle, en danger critique d’extinction dans son aire de répartition originelle, le bassin occidental de la méditerranée.
En Europe, il fait (faisait ?) partie de la faune la plus commune des pays occidentaux, de la Péninsule ibérique à l’Allemagne et se raréfie au fur et à mesure que l’on s’éloigne vers le nord (Scandinavie) et l’est (Hongrie). La colonisation française a d’abord concerné la région méditerranéenne et le sud-ouest de la France. L’analyse génétique indique que la colonisation de la France aurait été effectuée à partir de deux axes dont la vallée du Rhône et le Massif Central. Il a été introduit au nord de la Loire à des fins d’élevage. Avant le 9ème siècle, l’espèce est connue dans le sud et le sud-ouest de la France, Provence orientale et pays basques exceptés. Elle est absente au nord de la Loire. Celle-ci n’aurait été franchie qu’au-delà de cette date. Ce n’est que vers le 16ème siècle que l’espèce a commencé à proliférer grandement. A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les populations connurent un développement généralisé à la faveur de l’évolution d’un paysage rural qui leur était favorable (PASCAL et al. 2006). Seules les personnes ayant connu les années antérieures à 1980 peuvent témoigner de l’abondance passée de cette espèce. Pourtant, l’introduction en France du virus de la myxomatose en 1952 dans l’Eure et Loir a sonné un premier glas de cette abondance. En 1953, tout le pays était touché (GIBAN et al. 1956). Comme partout, les populations régionales ont été décimées mais une partie des animaux a survécu et de nombreux noyaux encore florissants existaient çà et là jusque dans les années 1980. Depuis 1989, l’apparition d’une maladie hémorragique virale (RVHD = Rabbit Viral Haemorrhagic Disease) a touché sévèrement les populations sauvages comme les lapins domestiques. Une seconde souche de ce virus est apparue dans les années 2010, entraînant parfois une éradication totale des populations touchées. Malgré les recherches, aucune solution n’a encore été trouvée (LE GALL-RECULE et al. 2013).

Carte de l'état des connaissances sur le lapin de garenne

Distribution actuelle

Le lapin de garenne est présent dans les huit départements de la région. Il est observé dans 79 % des mailles (N = 405). La région Rhône-Alpes possède une superficie de 43 698 km2. L’espèce est absente de près d’un quart de ce territoire, soit 21 % des mailles et 9177 km2 (N= 109 mailles). En première lecture, la carte met clairement en évidence une répartition homogène. Cependant, le lapin de garenne est absent sur de grandes superficies à l’est (Alpes, Jura, Bugey) et, à un degré moindre, à l’ouest (bordure du Massif central). Cette première lecture s’avère donc trompeuse et les proportions de présence-absence territoriale varient beaucoup d’un département à l’autre et peuvent être expliquées par plusieurs facteurs.

Comme le montre la carte, le lapin de garenne est très présent dans les départements où des milieux ouverts en basse altitude sont encore présents ; c’est le cas dans le Rhône, la Loire (plaine du Forez) la Drôme et l’Ardèche (couloir rhodanien et Vivarais), l’Isère (Grésivaudan). Pour les deux départements savoyards, la présence de l’espèce ne concerne guère que la partie ouest, secteurs présentant les altitudes les plus basses. Plus à l’est, la carte met en évidence un emprunt de certaines vallées dans lesquelles l’espèce se cantonne. A l’inverse, la proportion d’absence est élevée dans les départements montagnards ou qui présentent des massifs dont l’altitude dépasse les 1000 m dans certaines parties de leurs territoires. C’est le cas de l’Ain, de la Loire et de l’Ardèche.

Il n’est donc pas étonnant de constater une présence assez homogène de l’espèce dans un vaste ensemble couvrant les départements de la Loire (sauf les Monts de la Madeleine et ceux du Forez), du Rhône (mais pas ou peu dans le Beaujolais sud, peut-être en raison d’un enrésinement trop important), l’Ain depuis les contreforts ouest du Revermont jusqu’à Lyon en passant par la Dombes et la basse vallée de l’Ain, tout le nord-ouest de l’Isère auquel s’ajoute le Grésivaudan, toutes les moyenne et basse vallée du Rhône. Dans l’Ardèche, le Lapin est rare en Haute-Ardèche et dans le Vivarais comme il l’est dans le Vercors et le Diois pour le département de la Drôme. Dans les deux départements savoyards, la présence est très sporadique, limitée à quelques zones de basse altitude. Dans l’Ain, la rareté de l’animal est connue de longue date dans le Pays de Gex mais est bien plus récente en Bresse et une partie de la Bresse et du Val de Saône.

Une rapide analyse montre une dichotomie biogéographique selon une ligne qui traverse le territoire régional en passant par la vallée de l’Eyrieux (07), les Monts du matin et le Royannais (26) puis le Chambarand et le Dauphiné (38) pour remonter jusqu’à la rive française du lac Léman (74). Au sud-ouest et à l’ouest de cette ligne, les territoires sont soumis aux conditions bioclimatiques méditerranéennes et, plus au nord, continentales. A l’est de de cette ligne, ce sont les conditions bioclimatiques alpines qui dominent. Cette dichotomie biogéographique explique en grande partie la répartition de l’espèce en Rhône-Alpes.

Ces variations sont également la conséquence d’autres facteurs, comme les sols et la végétation qui caractérisent les trois zones biogéographiques (méditerranéenne, continentale et alpine de Rhône Alpes). La carte de répartition montre que le lapin de garenne apprécie les conditions bioclimatiques méditerranéennes (précipitations élevées aux saisons intermédiaires, hivers plus ou moins doux et étés chauds et secs) , dans une moindre mesure continentales, marquées par une forte amplitude thermique, mais que les conditions alpines ne lui conviennent pas. Ceci est renforcé par les dépôts géologiques des ères tertiaires et quaternaires, typiques du couloir rhodanien et de l’ouest de l’Ain et des départements savoyards (COCHET in CORA 2003). Outre le fait que ces régions sont peu élevées, ces dépôts favorisent l’existence de sols plus fins et plus profonds, facilement utilisables pour creuser des terriers. Enfin, s’ajoute à cela , la végétation. Ces secteurs constituent un long corridor sud – nord de milieux ouverts comme les pelouses et les prairies qu’apprécie l’espèce. C’est vers l’altitude de 1000 mètres, limite altitudinale moyenne de l’espèce, que les forêts ont la plus grande couverture en Rhône-Alpes (COCHET, op.cit.).

L’analyse altitudinale montre que l’espèce est susceptible d’être présente dans bon nombre de milieux jusqu’à une altitude de 1000 m. mais, en fait, elle est surtout rencontrée aux basses altitudes, généralement en dessous de 600 m, encore assez fréquemment jusqu’à 800 m mais devient rare plus haut. (BIADI et LEGALL, 1993). Comme le montre la figure ci-dessous  les départements rhônalpins affichent d’assez grandes disparités à cet égard.

Dans l’Ain, 94 % des mentions ont été effectuées à moins de 500 m d’altitude et 1,3% seulement au-delà de 700 m. avec un record à 851 m. à Thézillieu. Dans la Drôme, l’altitude moyenne des observations de l’espèce est de 247 m. ; seulement sept données ont été recueillies au-dessus de 1000 m. avec un record à 1273 m. à Bouvante mais aucune population n’est établie à cette altitude. En Isère, 99 % des données ont été recueillies à moins de 1000 m. d’altitude et la reproduction la plus élevée a été notée à 1080 m. à Valjouffrey. Ce département détient le record rhônalpin avec un individu au statut inconnu observé le 20 janvier 2012 à 1534 m. d’altitude à Saint-Pancrasse. Dans la Loire, les mentions à moins de 500 m d’altitude représentent 64 % des données, 81 % pour celles à moins de 600 m. ; dans ce département, quelques populations sont établies au-dessus de 1000 m. mais les observations à 1385 m. à Véranne et, a fortiori, à 1415 m à Sauvain se rapportent à des individus isolés au statut inconnu. Les peu nombreuses données savoyardes concernent les zones de basse altitude, inférieures à 700 m pour la plupart, quelques données assez régulières étant effectuées jusqu’à 945 m non loin du lac du Bourget ou en Maurienne, rendant exceptionnelle celle recueillie à 1430 m. à Crest-Voland. En Haute-Savoie, l’espèce n’a fourni que six données au-dessus de 1000 m. (jusqu’à 1280 m. à Taninges en 2011 en dehors d’une mention douteuse à 1419 m. au Petit-Bornand en 2012), toujours des individus isolés ce qui laisse planer de forts doutes sur une origine sauvage. Dans les secteurs d’altitude, l’enneigement important et prolongé est probablement le facteur le plus limitant.

Globalement, le lapin de garenne peut apparaître bien réparti en Rhône–Alpes, mais ceci cache la fragilité de ses populations, qui sont souvent isolées et en faibles effectifs. Elles sont donc localisées en noyaux de petite taille, ce qui rend l’espèce peu commune à très rare dans certains endroits alors que les conditions pour son maintien voire son développement semblent pourtant réunies.

Classement croissant des altitudes départementales de la présence du lapin de garenne en Rhône-Alpes

 

Lapin de garenne, Vaulx-en-Velin, août 2016 © Le Comte Loïc

Menaces et conservation

L’examen des tableaux de chasse nationaux depuis plusieurs décennies incite à rechercher au moins partiellement ailleurs la mauvaise situation actuelle de l’espèce. Nous sommes en effet passés d’un prélèvement annuel de 13,2 millions de lapins en 1974/75 (plus de vingt ans après l’apparition de la myxomatose supposée avoir anéanti les populations françaises) à 6,4 millions en 1982/83 puis 3,2 millions en 1998 et seulement 1,465 million en 2013/14 (LANDRY & MIGOT 2000, AUBRY et al. 2016). Les raisons de cette érosion continue des effectifs tiennent probablement à une raréfaction et une fragmentation des habitats favorables dues aux remembrements et à la généralisation des cultures extensives au premier rang desquelles figure la maïsiculture (DEVILARD et al. 2008, MARCHANDEAU et al. 2004, ROGERS et al. in THOMSON & KING op. cit.). Aujourd’hui, les populations qui subsistent comptent parfois de nombreux individus mais elles sont généralement faibles et surtout isolées les unes des autres, ce qui pose un problème quant à leur avenir. Peuvent-elles s’échanger des individus, gage d’un brassage génétique indispensable ? Paradoxalement, la plupart des colonies actuelles de la basse vallée de l’Ain sont établies à proximité des activités humaines (périphérie des habitations, zones industrielles, casses automobiles) et leurs individus peinent à essaimer dans les milieux périphériques cultivés, bien moins favorables. Une tentative de réintroduction à grande échelle dans les brotteaux, autrefois bastions de l’espèce, a connu un échec total.

Cette raréfaction du lapin a eu aussi des conséquences importantes sur la faune. Nous ignorons assez largement comment les prédateurs ont pu s’adapter à la disparition de cette manne. Cochet (2006) indique que le lapin « constitue sans aucun doute une proie idéale pour le Grand-duc (Bubo bubo) » et que « son apparition dans les régimes alimentaires est très variable mais peut grimper jusqu’à plus de 60 % en fréquence et à près de 90 % en abondance ». Dans les Gorges de l’Ardèche, en accord avec les chasseurs locaux, les « mesures de repeuplement d’espèces-proies de l’aigle de Bonelli (Hieraaetus fasciatus) tels que la perdrix rouge (Alectoris rufa) et le lapin » permettent « d’améliorer la qualité des domaines vitaux des aigles» (MURE in CORA 2003, IBORRA et al. 1990). Il serait intéressant de connaître la diversité des prédateurs consommateurs de lapin de garenne en Rhône-Alpes.

Nous pouvons penser que l’espèce devrait continuer à remplir son rôle de clé de voûte pour les chaînes alimentaires des différents écosystèmes dans lesquels elle est présente. Cependant, la faiblesse de ses effectifs et l’isolement des noyaux de populations sont, sans doute, les deux principaux freins à cette dynamique qui existait il y a peu de temps encore. Les opérations d’aménagement restent de trop faible ampleur pour cette espèce qui mériterait davantage d’attention dans les années à venir à l’échelle régionale.

Lapin de garenne, Grenoble, juin 2015 © Géraldine Le Duc

Rédacteurs : Olivier IBORRA et Alain BERNARD, novembre 2017